Affirmer que l’histoire politique et sociale de la Serbie est complexe relève de l’euphémisme pratiquement naïf. Et pourtant, c’est à partir de cet état de fait que la cinéaste Mila Turajlic déroule le tortueux fil des événements ayant ébranlé la Serbie et les pays avoisinants dans l’excellent documentaire L’envers d’une histoire, présenté mercredi 25 avril dans le cadre de la série RIDM+.
Tout commence dans l’appartement familial. Construit à Belgrade, au début du 20e siècle, l’immeuble qui abrite le logement est à l’image du pays: traversé par ce qui est probablement l’un des siècles les plus chargés en termes de transformations en tous genres. Ici, le logement des Turajlic est découpé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et des portes sont condamnées, alors que des pièces deviennent autant d’appartements attribués à d’autres habitants. L’État communiste devait combattre la bourgeoisie, après tout, et la famille Turajlic était une famille aisée.
Le film s’articule autour de Srbijanka Turajlic, la mère de la réalisatrice, qui est depuis longtemps une figure marquante de la vie politique serbe. Professeure d’université, militante pro-démocratie, elle n’aura de cesse de s’opposer aux différents régimes, qu’il s’agisse des communistes, jusqu’à la fin des années 1980, de l’État sous Slobodan Milosevic, tour à tour « sauveur de la Serbie » et « boucher des Balkans », ou encore du gouvernement actuel, mené par le Parti nationaliste.
Brièvement ministre de l’Éducation après la chute de Milosevic en 2000, Mme Turajlic est aussi la petite-fille de l’un des artisans de l’unification, au sortir de la Première Guerre mondiale, de ce qui se sera brièvement appelé Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Autant dire que le goût de la politique coule dans les veines de la famille. Il faut voir cette ancienne professeure et femme politique, d’ailleurs, continuer d’espérer, continuer de militer, continuer de faire pression pour que l’État de droit retrouve sa place en Serbie. Pourtant, tout semble s’opposer à sa vision d’une Serbie véritablement démocratique. « Le peuple tombe facilement amoureux », dira-t-elle, en parlant de cet intérêt pour les leaders forts qui mènent trop souvent à la catastrophe.
Malgré tout, elle s’accroche. À travers ses yeux, dans ses discours, dans ses élans d’espoir et d’optimisme, mais aussi dans ses moments de grande déception, elle symbolise tout un pays. Un pays qui était autrefois vaste et ambitieux, et qui a depuis été morcelé, dépecé, ramené à sa plus simple expression. Un peu à l’image de l’appartement familial, bref.
Il ne faut toutefois pas penser que L’envers d’une histoire est complaisant. Film d’espoir, documentaire complexe, à l’image de sa principale protagoniste, on y découvre là un pays et ses tribulations qui ont pratiquement disparu de l’esprit des Occidentaux depuis la Guerre de Bosnie et la mort de Milosevic, il y a une douzaine d’années. La Serbie n’a toutefois pas oublié le passé – le conflit latent au Kosovo en est un exemple criant -, pas plus qu’elle ne semble capable de véritablement se tourner vers l’avenir.
Devant tout ça, Srbijanka Turajlic s’accroche. Pour quelle raison? Elle ne le sait plus trop elle-même. Modèle essoufflé, fatigué d’une jeunesse qui se cherche toujours un avenir. En ce sens, L’envers d’une histoire est un film magnifique, tout en nuances, qui fait voyager tout en demeurant entre les murs d’un appartement témoin des grands chambardements de l’Histoire.
À voir au cinéma du Parc, le mercredi 25 avril.
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