Nathalie Lessard
Inspirée d’un fait réel et terrible, Ne m’oublie pas expose un sombre pan de l’histoire de la Grande-Bretagne aussi méconnu que honteux dont les victimes furent des enfants.
Comme le rappelle le livret: « À partir de 1869 et jusqu’à la fin des années 30, la Grande-Bretagne a déporté entre 100 000 et 150 000 enfants dans le but de peupler l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada. Ces milliers d’enfants arrachés à leur patrie ont servi de main-d’œuvre bon marché lors de leur arrivée dans ces colonies anglaises, et ont subi maltraitances en tous genres. Au Canada, les “petits immigrants” et leurs descendants forment aujourd’hui entre 10 et 12 % de la population, soit environ 4 millions de personnes, dont 8 000 Québécois. Et parmi les enfants envoyés au Québec, il y avait nul autre que John James Rowley, le grand-père maternel de Gilles, Monique et Louise Duceppe, directrice générale de la compagnie Duceppe. » Il était donc pertinent, voire incontournable, que le texte du dramaturge australien Tom Holloway soit présenté dans ce théâtre.
La prémisse est excellente. Cinquantenaire alcoolique, enragé et très troublé (on le serait à moins), Gerry entreprend un long voyage pour faire la paix avec son horrible passé, décidé plus que jamais à affronter tout ce que cette démarche implique comme souffrance. Et ce retour dans l’enfance ne se fera pas sans vertige. Aidé de sa fille pour qui il n’a été qu’un père raté et d’un travailleur social bienveillant, il part à Liverpool à la rencontre de sa mère septuagénaire et malade, celle à qui il a été arraché en très bas âge. Les retrouvailles tant attendues depuis près de 50 ans auront-elles lieu? Ou Gerry restera-t-il dans la pénombre, condamné à porter son bagage noir toute sa vie? Le destin sera révélé sans brusquer, au compte-gouttes, et c’est tant mieux. Si François Papineau est sans faille et Louise Turcot (la mère) est assez touchante, le jeu de Marie-Ève Milot (la fille Nathalie) et de Jonathan Gagnon (le travailleur social, Marc) demeure très inégal, voire caricatural. Malheureusement, ça manque de conviction, de timing et de naturel.
On aime toutefois la scénographie sobre et ingénieuse de Frédéric Dubois qui nous fait basculer dans le temps et qui permet de déployer l’histoire de façon originale. Au centre, une table, berceau des discussions lentes et poignantes entre Gerry et sa mère, puis autour, aux quatre coins de la scène, les zones d’un présent à bout de souffle, déstabilisant, sur le qui-vive et la défensive. Le processus est subtil et habile.
Malgré certaines lacunes, on courra chez Duceppe pour voir (ou revoir) François Papineau, véritable maestro des planches, mais surtout pour essayer de comprendre cet affreux drame dont trop d’enfants innocents ont fait les frais dans un passé pas si lointain.
La pièce est présentée chez Duceppe jusqu’au 25 mars.