Didier Lucien, éternel apatride? Né en Haïti, le comédien, acteur et dramaturge est arrivé au Canada alors qu’il n’avait qu’un an. Un demi-siècle plus tard, l’homme cherche toujours un sentiment d’appartenance cruellement élusif.
« Cela fait 49 ans que je suis ici, et on me considère encore comme un nouvel arrivant », lance le Québécois que l’on pourrait croire parfaitement intégré. La faute à la couleur de sa peau? En Haïti, où il n’est jamais vraiment retourné, on l’appelle pourtant « Le Blanc ».
Ai-je du sang de dictateur?, une pièce présentée sur les planches de l’Espace libre, se veut autant une réflexion sur les origines qu’un retour sur l’histoire tourmentée de la « Perle des Antilles ». Esclavage, coups d’État, dictatures, catastrophes naturelles… Les calamités n’en finissent plus de s’abattre sur Ayiti. Autant de blessures, de lacérations profondes que Didier Lucien semble ressentir au fond de son être. Et ce même s’il ne comprend pas lui-même toutes les ramifications et les complexités de la société haïtienne.
Manifeste, cri du coeur, examen historique… Ai-je du sang de dictateur? est à la fois tout cela et quelque chose de complètement différent. Il faut voir l’auteur et interprète se déguiser en Jean-Paul Duvalier, dictateur tyrannique de fort triste mémoire, et rejouer la plongée dans la folie de ce chef d’État si imbu de lui-même qu’il en viendra à changer la prière du Notre père… Ou qui, plus prosaïquement, fera piller, torturer et tuer à sa guise jusqu’à ce que la mort l’emporte, et que son fils « Bébé Doc » prenne sa place.
Ce désir d’appartenance, cette incompréhension d’un pays qui le fuit et qui l’attire inexorablement tout à la fois, Didier Lucien les hurle pour mieux purger sa chair de ces pulsions. Ou est-ce plutôt pour mieux s’en imprégner?
L’oeuvre paraît certes parfois quelque peu brouillonne, entre la fausse émission de télé, les gags, les cris du coeur, les numéros chantés… On y perd un peu son latin, pour ensuite le retrouver quelques minutes plus tard, heureusement.
Coïncidence heureuse ou malheureuse, Ai-je du sang de dictateur déboule au théâtre alors que la question de l’intégration des immigrants occupe un espace extrêmement important, particulièrement dans la foulée de l’attentat de Québec, dimanche dernier. L’intégration et le vivre-ensemble, c’est (très) bien, mais encore faut-il savoir d’où l’on vient et qui l’on est. Facile à dire, souvent très difficile à faire. Mais cela n’empêchera pas Didier Lucien de continuer à essayer.
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