L’artiste et cinéaste basée à Chicago, Deborah Stratman a présenté le programme double From Hetty to Nancy (1997) et O’er the Land (2009) aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) le 12 novembre. Plus proche de la vidéo d’art que du documentaire comme on l’entend, les deux moyens-métrages nous amènent à nous interroger sur la dimension bien réelle de la subjectivité.
De prime abord, les deux films ont été jumelés dans le même bloc seulement pour des raisons de durée. La cinéaste a tenu à spécifier qu’elle a tourné plusieurs films dans l’intervalle, que sa démarche artistique a progressé. Tenant compte de cet avertissement, le spectateur était confronté à un saut dans le temps. Néanmoins, la conscience du spectateur peut-il faire autrement que de comparer deux films de la même artiste ?
Après avoir vécu à Los Angeles, la mégalopole de l’automobile, Deborah Statman cherchait un endroit complètement différent où aller. Son choix s’est arrêté à la frontière du globe, en Islande. Le film se trouve à être un montage de paysages époustouflants, de scènes rurales et d’images intrigantes. En fait, l’emphase est mise sur le traitement des images de sorte que l’utilisation de la pellicule 16 mm rend un écran carré, une définition floue et des couleurs altérées. Le film renvoie l’impression d’une vidéo « vintage », mais l’aspect « vieillot » crée une esthétique en phase avec le lieu volcanique polaire.
« Ce qu’il y a d’intéressant, c’est ce qu’on ne voit pas », a affirmé la cinéaste.
Le film n’est pas contemplatif pour autant. Usant de la voix off, des sous-titres ou d’un texte défilant, la cinéaste a ajouté une narration audible, visible et discontinue. Le texte raconté provient d’un livre touristique sur l’Islande composé d’écrits divers. À cela, elle a ajouté de la musique orchestrale. Ainsi, la limpidité du paysage islandais se trouve chargée d’une technique vidéographique imposante, plus tournée vers le sol rocheux.
« C’est mon film, je ne trouve pas qu’il y a de lourdeur. C’est ma façon de voir l’Islande », a affirmé la cinéaste.
Silhouette héroïque
Le film O’er the Land (2009) part de l’histoire du Colonel William Ranking qui a été forcé de s’éjecter de l’avion de chasse F8U à 48 000 pieds dans les airs, sans combinaison pressurisée, pour se retrouver coincé pendant 45 minutes dans les courants d’un orage massif. Ayant survécu, le rescapé est devenu un héros national. À l’aide d’un traitement vidéographique similaire au film précédent, la cinéaste s’interroge sur les questions de l’identité nationale, voire de fierté patriotique.
En fait, la cinéaste nous montre des extraits de fierté nationale comme l’achat d’un Winnebago à la retraite pour parcourir le pays, la participation à un festival d’armes à feu dans l’État du Kentucky, la mise en scène d’une bataille de la Nouvelle-Angleterre, la surveillance à la frontière mexicaine, l’affichage des noms des vendeurs du mois sur un immense panneau illuminé sur le bord de la route, etc. « …c’est par la manière dont nous concevons la liberté. Nous concevons la liberté par l’appropriation », a expliqué la cinéaste. Afin d’éviter de magnifier ces manifestations à la limite de l’absurde, elle utilise la technique vidéographique de façon à nier cette aura à l’écran.
Après le film, la cinéaste a réagi à une courte séquence à peine perceptible montrant un homme qui saute en bas d’une falaise dans un cours d’eau. « Vous avez vu cette séquence? Cet homme le faisait juste parce que ça lui donnait l’impression de s’abandonner à une force plus grande que lui », a-t-elle expliqué. Ainsi, les séquences où on nous montre les forces de la nature tels une chute d’eau, un incendie ou un orage pour illustrer celui qui a transporté le Colonel Wiliam Rankin nous renvoient à l’aspect grandiose des tableaux des peintres paysagistes de la conquête de l’Ouest américain.
Cette approche métaphysique rappelle la démarche des prêtres cinéastes du Canada français, Albert Tessier et Maurice Proulx, superposant la tradition à la modernité dans leurs films. N’empêche que Deborah Stratman nous présente une structure autre, où l’Américain s’approprie et se laisse approprier par un absolu national.
La notion de liberté se définirait-elle par un anachronisme au Québec et par la propriété privée aux États-Unis? Le cinéma semble le moyen idéal pour répondre à cette question.