La planète en est à son dernier souffle; l’humanité se meurt; la pollution de notre civilisation a déclenché la sixième grande extinction d’espèces depuis l’apparition de la vie sur Terre.
Ces déclarations font souvent la manchette, alors que les preuves des impacts des changements climatiques se multiplient. Et s’il est vrai que le temps commence à manquer pour lutter contre les catastrophes à venir, le public se lasse rapidement des nouvelles alarmistes et du ton fataliste adopté par certains journalistes.
L’équipe derrière le documentaire Demain a donc choisi d’adopter la solution inverse: plutôt que de tirer le signal d’alarme sans arrêt pendant deux heures, les cinéastes appellent à l’action de manière intelligente. Une bonne dose d’optimisme réaliste qui, même si elle tourne les coins ronds, fait du bien.
Repenser l’agriculture, l’urbanisme, l’éducation, l’argent, la politique. Repenser le monde, bref. Mais la formule retenue par l’équipe dirigée par Cyril Dion et l’actrice française Mélanie Laurent est quelque peu différente: le film est en effet émaillé d’exemples précis de solutions qui fonctionnent. Ici, un agriculteur employant des méthodes traditionnelles pour obtenir un rendement spectaculaire sans les pesticides et la consommation effrénée de carburant des gros exploitants. Là, une monnaie locale qui encourage le commerce de proximité. Plus loin, des méthodes d’enseignement qui cassent le moule rigide de l’école-machine. Ou encore des villes qui font le choix de se construire en pensant d’abord à l’humain, et non pas au char.
Au fur et à mesure que le documentaire progresse, le spectateur est ainsi confronté à la dure réalité: les défis sont très nombreux, certes, et la planète se porte mal. Mais des solutions existent, et bon nombre d’entre elles sont déjà en application. Cette réalisation est toutefois accompagnée d’une constatation attristante: Demain, avec ses solutions individuelles, ses villes qui agissent de façon indépendante, ses entreprises qui décident d’aller de l’avant de leur plein gré, consacre en quelque sorte l’échec de l’État-nation. Partout, ou presque, les idées pour s’en sortir, pour sauver ce qui reste de la planète sont mises en place par des individus, des collectivités, mais jamais par les gouvernements nationaux (sauf dans le cas de très petits pays, comme l’Islande). Les grands pays sont-ils prisonniers des intérêts particuliers, des compagnies, des banques, des investisseurs? Le documentaire le laisse entendre de façon plus ou moins subtile.
D’un autre côté, c’est aussi là où Demain s’essouffle légèrement. La démarche des réalisateurs et de leurs amis part d’une idée noble, mais les plans où on les voit voyager les cheveux dans le vent, le visage inondé de soleil, tiennent légèrement de la gauche caviar qui tente de se justifier. On échappe à la démarche tenant de « regardez comme nous sommes bons et gentils », mais on frôle parfois cette mince ligne qu’il vaut mieux ne pas franchir pour éviter que le film ne perde de sa légitimité.
Les mêmes solutions vantées par Demain, particulièrement lorsque vient le temps de repenser la monnaie, l’éducation et la représentativité politique, manquent d’assises solides. Tant mieux si une école d’un quartier pauvre d’un pays nordique a changé ses façons de faire pour rendre l’éducation plus intéressante pour les jeunes du primaire, mais qu’en est-il de l’éducation supérieure? Des villages indiens consultent directement leur population pour prendre de meilleures décisions? Fort bien! Mais que fait-on avec le 1,6 milliard d’habitants de ce pays? Idem pour les gens désirant choisir leurs représentants politiques au hasard parmi la population. Si, déjà, l’efficacité et l’érudition des députés et ministres n’impressionnent guère ici comme ailleurs, rien ne garantit que les assemblées nationales et parlements seront soudainement remplis de génie ayant les qualités nécessaires pour diriger des provinces et des pays entiers.
À cela, les réalisateurs de Demain pourraient rétorquer qu’il fallait bien couper quelque part, et que chaque sujet abordé dans le documentaire nécessiterait des essais, d’autres documentaires, des cours universitaires et d’importants débats philosophiques, politiques et économiques pour plonger au coeur des différents problèmes qui rongent notre planète et notre civilisation.
Rome ne s’est pas bâtie en un jour, et la planète ne sera certainement pas sauvée à l’aide d’un documentaire de deux heures et des poussières. Demain réussit pourtant un tour de force: celui de nous montrer qu’il y a encore de l’espoir, que tout n’est pas perdu, et que nous ne serons pas forcés de vivre dans des huttes et d’en revenir à un mode de vie de chasse et de cueillette pour assurer la survie de l’espèce. Et cela, hé bien, c’est déjà beaucoup.