Développé par Irrational Games et publié en 2013 par 2K, BioShock Infinite représente toujours, bientôt neuf ans après sa sortie, le meilleur et le pire de la série BioShock. Et à l’aune de l’ambition quelque peu démesurée des développeurs pour ce troisième volet de cet univers, il n’est pas vraiment étonnant qu’aucune suite n’ait encore vu le jour.
À l’instar du premier jeu de la série, Infinite utilise les mêmes concepts fondamentaux: un homme, un étranger, débarque soudainement dans une étrange ville coupée de tout, dont l’existence était jusqu’alors largement inconnue. Après la plongée sous-marine, avec Rapture, voilà que l’on s’envole dans les airs pour rejoindre Columbia. Et plutôt que d’avoir une ville basée sur l’art déco, avec un jeu qui se déroule au tout début des années 1960, on remonte plutôt en 1912, avec une métropole évoquant la cité rutilante de l’Exposition universelle de 1893, à Chicago. Une ville magnifique, avec ses colonnes romaines et ses pierres de taille. Mais aussi une ville qui cache bien des côtés sombres.
Dans la peau de Booker DeWitt, un détective désoeuvré chargé de retrouver Elizabeth pour effacer ses lourdes dettes de jeu, le joueur explore donc cette ville qui a franchement des allures de cité théocratique. Il y est question d’un Prophète, d’un nouveau baptême… Même le moyen de transport utilisé pour s’y rendre, une fusée avant l’heure, est accompagné d’un « alléluia » lorsque l’enfin franchit la couche nuageuse pour rejoindre Columbia.
Mais qui dit jeu de la série BioShock dit forcément combat, et cela veut donc dire que notre protagoniste est rapidement accusé d’être le « faux berger » qui désire « détourner l’agneau » du droit chemin. L’agneau étant évidemment Elizabeth, la « semence du Prophète » destinée à « faire pleuvoir le feu sur les montagnes des hommes », rien de moins.
Il n’y a pas de doute, le Prophète de Columbia, Zachary Comstock, s’est surtout inspiré de l’Ancien Testament, et s’est donné le rôle d’un dieu vengeur. Un dieu vengeur à la tête d’une ville qui a repris certains idéaux américains, mais pas tous. De fait, on remarque bien vite que seuls les Blancs semblent pouvoir vivre dans la « belle » partie de la métropole. Les autres, notamment les Noirs, devront s’entasser dans les usines crasseuses situées en contrebas, ou se contenter d’occuper des rôles s’approchant davantage de l’esclavage que du travail bien rémunéré.
Combats il y a, donc, avec le même style nerveux qui caractérisait le premier volet de la série. Le joueur ne peut tenir que deux armes à feu, en plus de combattre au corps à corps, ou plutôt d’utiliser une sorte de grappin pivotant pour asséner des coups à ses ennemis, en plus de pouvoir s’accrocher à des lignes de transport par rail.
Parlons-en, d’ailleurs, de ces systèmes de rails. Puisque le jeu est orienté autour de la thématique du vol, et met en vedette non seulement des bâtiments flottant dans les airs, mais aussi quantité de barges, dirigeables et autres appareils volant, les développeurs proposent aussi un système de transport par rail. Après tout, il faut bien transporter des marchandises, dans cet univers, d’autant plus que Columbia, une ville résolument capitaliste – esclavagiste, même –, se doit de faire entrer de l’argent dans ses coffres.
Donc, voilà, il est possible de se déplacer sur ces rails, en plus de pouvoir tirer et de se lancer vers le sol, histoire d’expédier dans l’autre monde les ennemis qui se trouvent au sol. Ces mêmes rails donnent aussi l’occasion d’aller se mettre à l’abri, voire de combattre, directement sur les voies, contre des adversaires qui décideraient de nous suivre.
Malheureusement, ce procédé n’est utilisé que trop peu souvent, et la quasi-totalité des combats se déroule sur la terre ferme, ou son équivalent, dans une structure tout à fait traditionnelle consistant à faire feu, puis se cacher pour recharger son « bouclier » ou son arme, avant de répéter l’exercice. Elizabeth, qui accompagnera notre héros pendant environ les trois quarts du jeu, va d’ailleurs s’affairer à nous fournir munitions et trousses médicales pour assurer notre survie. De là à dire que les combats de BioShock Infinite sont étrangement conçus, en étant à la fois trop difficiles en mode solo et parfois trop faciles avec l’aide de notre compagnon numérique, il n’y a qu’un pas.
La tête dans les étoiles
Outre ses systèmes de combat, Infinite propose un scénario mêlant révolte populaire (et populiste), oppression capitaliste, théocratie et dimensions parallèles. Combiner le tout et s’assurer que chaque section s’insère parfaitement bien dans la trame centrale du jeu était un objectif particulièrement ambitieux: Irrational Games s’en tire relativement bien sous certains aspects, mais cette volonté de tout inclure fait en sorte que sur la dizaine d’heures de la campagne, tout au plus, l’histoire part un peu dans tous les sens, et que le rythme et les dialogues en souffrent.
On évitera d’ailleurs de gâcher la fin, mais il suffit d’indiquer qu’une fois la dernière étape franchie, le joueur est forcé d’endurer l’équivalent d’une cinématique d’une vingtaine de minutes où ses actions n’ont aucune conséquence. Une référence à la notion de l’existence de dimensions parallèles, peut-être, mais un moment vidéoludique fort ordinaire où les développeurs semblent se complaire dans l’importance qu’ils se sont eux-mêmes attribuée.
Lors d’une première campagne réussie, l’illusion a tenu: ce joueur avait estimé, à l’époque, que la fin du jeu était renversante. Près d’une décennie plus tard, force est de constater que cette fin est quasiment vide de sens, et est tellement tirée par les cheveux qu’il est étonnant que le protagoniste ne soit pas entièrement chauve.
BioShock Infinite est donc une expérience incomplète, mais surtout trop ambitieuse pour son propre bien. Est-ce à dire qu’après le fond de l’océan et le milieu du ciel, la série est arrivée à court d’idées pour mettre en scène une ville dirigée par un mégalomane faisant la promotion d’une idéologie mortifère qui fait ressortir le pire de l’humanité? Poser la question, c’est peut-être y répondre…
BioShock Infinite
Développeur: Irrational Games
Éditeur: 2K
Plateformes: Windows, Linux, OS X, Xbox 360, PlayStation 3, Nintendo Switch (testé sur Windows / Steam)
Jeu disponible en français.