En 2016, Fort McMurray a été dévastée par le feu de forêt le plus coûteux de l’histoire du Canada. Aujourd’hui, la ville se positionne à l’avant-garde de la prévention des incendies.
En mai 2016, les images du nord de l’Alberta faisaient le tour du pays. Des volutes de fumée noire s’élevaient sur un ciel orange. Des milliers de bâtiments détruits par les flammes. Environ 90 000 personnes évacuées. Quelque 5000 kilomètres carrés de forêts brûlées.
Le feu, surnommé « La Bête » est toujours considéré comme le brasier le plus coûteux de l’histoire du pays. En 2017, une étude publiée par l’Université MacEwan évaluait les dommages directs et indirects des flammes à plus de 10 milliards de dollars.
Cette région vivant de l’exploitation des sables bitumineux et émettant le plus de gaz à effet de serre au pays subissait, de façon spectaculaire, l’un des corollaires des changements climatiques: des feux de forêt plus fréquents et plus intenses.
Aujourd’hui, la ville de Fort McMurray a rebâti sur ses cendres. Mais les rappels du risque sont fréquents. De longs chicots calcinés s’érigent toujours un peu partout aux abords de la ville. En mai 2024, un nouveau feu de forêt a brûlé cette forêt composée de chicots et de végétation en régénération, au sud de la ville. À l’été 2023, la fumée des puissants feux des Territoires du Nord-Ouest, situés à seulement quelques centaines de kilomètres de là, a atteint la ville.
« Je comprends ce que c’est, de tout perdre. En 2016, j’ai perdu ma maison », témoigne Chris Pottie, gestionnaire du programme Intelli-feu des Services régionaux d’urgence de Fort McMurray. Le programme national vise à soutenir les Canadien(ne)s à améliorer la résilience de leur quartier face aux feux de forêt et à réduire les impacts de ces derniers. « Les feux de forêt font partie du cycle de la forêt boréale. Il faut être prêt à vivre avec. »

Favoriser la résilience
Après avoir travaillé pendant plusieurs années dans les gisements de sable bitumineux, le Néo-Écossais d’origine a changé son fusil d’épaule et se dédie maintenant avec passion à accroître la résilience de la ville et sensibiliser les résident(e)s face aux risques d’incendie.
Après avoir stationné son pick-up dans une rue résidentielle, Chris Pottie marche fièrement dans un grand espace vert au coeur de la ville débute le sentier « Intelli-feu », un parcours éducatif pour réduire les risques d’incendie qui, à l’instar du programme fédéral éponyme, met en valeur des stratégies pour rendre les habitations, les infrastructures et les paysages plus résistants aux feux.
En bordure du bois, un pavillon a été construit avec des matériaux résistants au feu: un toit métallique, des pierres, des piliers métalliques. Des pancartes expliquent comment rendre sa maison moins inflammable, tandis que sous la neige, des aménagements horticoles permettent de mettre en valeur les plantes à favoriser sur son terrain — essentiellement, des feuilles et des fleurs gorgées d’eau.
Un poste d’observation permet de s’enfoncer dans une forêt mature. Les conifères, nombreux, forment un sous-bois dense. Un parfait combustible en cas d’embrasement.
Chris Pottie fait volte-face pour s’engager sur le sentier dans un grand secteur de la forêt aménagée pour prévenir les feux. Le contraste est frappant. Les branches des arbres ont été élaguées sur une hauteur de deux mètres à partir du sol. Le sous-bois est peu dense. Des conifères, qui s’enflamment plus rapidement que les feuillus, ont été coupés.
Des panneaux d’interprétation abordent des informations sur la forêt boréale ou la dynamique des feux. De grosses roches faisant office de bancs et de tables permettent d’accueillir des groupes scolaires. Le sentier constitue essentiellement une vitrine pour accroître l’acceptabilité sociale des mesures réalisées un peu partout autour de la ville.
« Pendant l’été, une grande partie de mon travail est en lien avec l’éducation, » explique Chris Pottie. « Au début de nos interventions, lorsque des gens nous voyait couper de la végétation, ils s’opposaient. Maintenant, ils comprennent beaucoup plus. »

Une protection qui coûte cher
De retour dans son bureau, Chris Pottie indique des cartes à haute résolution de la région sur un écran. De longues zones colorées en jaune, qui enrobent une grande partie de la ville, représentent des zones coupe-feu dépourvues de végétation ou des zones où la densité de la végétation a été réduite par des moyens mécaniques ou par le feu. Des zones colorées en orange correspondent à traiter en priorité, selon des évaluations du risque d’inflammabilité réalisées aux cinq ans par des spécialistes.
Les coûts associés à ces mesures sont élevés, et le gestionnaire de programme passe beaucoup de temps à faire des demandes de subventions et à tenter de nouer de nouveaux partenariats. Il a ainsi débuté des discussions avec les compagnies forestières de la région pour diriger des efforts de coupes dans des endroits stratégies autour de la ville.
Il estime que la réintroduction du brûlage dirigé, pratiqué pendant des siècles par les peuples autochtones, pourrait être une solution clé pour améliorer la résilience du territoire sur une plus grande échelle, notamment sur les terres de la Couronne, sur lesquelles la Municipalité n’a pas de juridiction.
Pourtant, la véritable solution se trouve peut-être au-delà des limites de la ville. Dans l’air frais printanier, des panaches de fumée s’élèvent au-dessus des raffineries. Ce paysage industriel rappelle la hausse des émissions de gaz à effet de serre liées à l’exploitation des sables bitumineux et à nos modes de vie carbonés. Après tout, il y a rarement de la fumée sans feu.
Ce reportage a bénéficié d’une bourse d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).