C’est une histoire qui est à la fois aussi vieille que le temps, mais aussi bien souvent balayée sous le tapis, lorsque l’on raconte la saga de la Guerre de Troie. Car avant que les Grecs n’assiègent les murailles de la mythique cité, ils ont tué l’une des leurs: Iphigénie.
Dans ce texte de l’auteur portugais Tiago Rodrigues, qui prend vie sur les planches du Théâtre Denise-Pelletier, nous avons donc ce terrible dilemme: le roi Agamemnon est pressé de sacrifier sa fille, Iphigénie, pour que les dieux permettent enfin aux vents de se lever, afin que la flotte grecque vogue vers la guerre.
Nous avons beau nous trouver à l’époque des dieux, dans cette période où réalité et mythes se confondent, Agamemnon doit résoudre un problème tout à fait contemporain: est-il acceptable de provoquer la mort d’autrui afin d’aider « la cause »? Les victimes collatérales ne sont-elles qu’un aspect d’un conflit? Où s’arrête la limite du sacrifice pour le « bien commun »?
Voilà donc notre roi rongé par le doute, la peur, l’envie de fuir, mais aussi le désir de préserver son honneur, après avoir appelé au rassemblement des forces grecques afin de venger l’affront fait à son frère Ménélas, lorsque Hélène est partie pour Troie avec Pâris, que ce soit volontairement ou non.
Et sur scène, il ne fait aucun doute que Rodrigues, aidé en ce sens par la mise en scène d’Isabelle Leblanc, cherche à ajouter une touche de modernité à ce récit vieux de plusieurs milliers d’années. On aurait pu avoir droit à une pièce d’époque, longue de plusieurs heures, avec costumes, casques et autres toges à l’appui; il est plutôt question d’un rythme soutenu, d’un langage généralement très direct et efficace, ainsi que d’une bonne dose d’humour pour alléger l’atmosphère.
Résultat? Une oeuvre classique et particulièrement tragique, certes, mais dans un cadre interdisant tout temps mort, le tout aidé par de magnifiques décors, ainsi qu’une utilisation particulièrement astucieuse de la lumière, y compris à l’aide d’une sphère gigantesque qui obscurcit graduellement le soleil (ou la lune, c’est selon). Quelle est donc cette étrange lumière rougeâtre, alors qu’approche le point d’orgue de tous ces récits? Pourquoi nos personnages plongent-ils graduellement dans l’ombre, alors qu’un éclairage digne des enfers balaie leur visage masqué?
Belle, triste, particulièrement bien jouée, le tout dans un espace scénique utilisé à son plein potentiel, Iphigénie est la preuve, hors de tout doute, qu’il est encore possible de raconter des mythes fondateurs en adoptant une approche contemporaine, sans rien enlever à la pertinence de l’oeuvre originale.
Iphigénie, de Tiago Rodrigues, mise en scène d’Isabelle Leblanc; avec Catherine Allard, Gabriel Favreau, Alice Moreault, Étienne Pilon, Dominique Quesnel, Éric Robidoux et Aimé Tuyishime
Au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 7 décembre