À l’inverse de son titre, le film Pas de vagues fait vraiment tout pour surfer sur le moment présent et profiter des sujets chauds de l’heure, histoire de provoquer au lieu de faire réfléchir. Le tout au risque de mettre en péril le progrès accompli pour donner la parole à ceux qui en ont véritablement besoin.
Le cinéaste Teddy Lussi-Modeste est d’abord et avant tout enseignant, bien qu’il conserve une passion pour le septième art. Il décide néanmoins de tout miser sur sa carrière cinématographique et tourne avec nul autre que Guillaume Gouix, Béatrice Dalle, Tahar Rahim, Roschy Zen, Grégoire Colin et Maïwenn. Malheureusement, ni Jimmy Rivière ni l’ironiquement titré Le prix du succès n’obtiennent le succès escompté. Il poursuit donc sa carrière d’enseignement.
Dans un contexte qui le rend certainement mélancolique survient un « drame » où l’une de ses jeunes élèves l’accuse à tort de harcèlement. Plus de cinq ans après son dernier long-métrage, il trouve finalement son sujet pour revenir derrière les caméras. Opportuniste, me direz-vous? Le mot semble faible.
Le réalisateur a même troqué sa collaboratrice d’hier, la cinéaste Rebecca Zlotowski, pour la plus en vogue Audrey Diwan. Sauf qu’il ne faut pas se méprendre, si elle lui a donné le conseil judicieux de s’éloigner le plus possible de son sujet et de se concentrer sur la fiction, sa présence à l’écriture n’aide en rien à élever le niveau ou les nuances, s’il y en a.
Si l’on comprend les motivations derrière l’oeuvre, on ne peut que déplorer les démarches entreprises ici pour parvenir à ses fins et, surtout, de s’avérer problématiques dans l’angle abordé, et ce, dès les premières secondes.
Comme une sorte de riposte aux supposées conséquences du mouvement #MeToo qui souscrit certainement aux mêmes critiques de ceux qui s’époumonent chaque jour sur la présence des « wokes », le film semble constamment se lamenter sur le sort des moins souffrants.
Rapidement, ce qui voudrait se transformer en un cri du coeur qu’on semble vouloir étouffer apparaît plutôt comme un entêtement égocentrique d’un jeune homme blanc idéaliste de bonne famille convaincu que sa seule présence n’est là que pour causer le bien autour de lui, aveugle face à tout le mal qu’il peut causer.
Certes, on veut bien comprendre que le système a énormément de problèmes (pas de surprises ici, c’est le cas partout, c’est une problématique sociétale, c’est à l’échelle de la société), on veut bien croire aux injustices (la vie en est bourrée, on sait cela aussi), sauf qu’à l’inverse des Choses humaines, de Yvan Attal, ne s’intéresser qu’à la situation de notre protagoniste ne fait que réduire le propos et la portée du long-métrage
C’est d’autant plus inquiétant lorsqu’on voit les tactiques qu’on prend pour essayer de s’attirer l’appui du public, comme notamment d’utiliser l’homosexualité comme « preuve » ultime qu’il est impossible et totalement improbable que ce jeune homme irrésistible puisse agir de manière déplacée auprès des jeunes femmes.
Pourquoi, alors, utiliser cette perspective aussi intéressante qu’importante de l’orientation sexuelle comme un jeu, plutôt que sous la forme d’une réalité? Pourquoi l’offrir à deux interprètes ouvertement hétérosexuels, qui donnent plutôt l’impression de se plaire à élargir leur palette de jeu, plutôt que de s’investir dans quelque chose d’important?
François Civil joue certainement bien l’ambiguïté et Shaïn Boumedine, la révélation des Mektoub, My Love de Kechiche (on ne reviendra pas sur les reproches de ce cinéaste tombé de très haut), sait inclure une tendresse nécessaire.
Il faut toutefois bien plus que des caresses, une scène unique de baiser assez forcé et une autre carrément inutile de sauna pour se montrer comme une représentation naturelle du milieu, plutôt que de l’utiliser, comme la majorité des éléments du film, sous la forme d’un punch pour faire réagir.
La chose est encore plus flagrante lorsque l’on analyse la façon dont on termine le film, que ce soit avec le choix de cette dernière scène, mais aussi en attendant tout ce temps avant de déclarer que le tout est « inspiré de faits réels » et que tout ce que l’on vient de voir n’est pas qu’une « terrifiante » fiction.
Voilà comment le film, qui veut quand même dépeindre la dureté du système, le manque de ressources, ainsi que les conditions particulières et difficiles des régions européennes, passe carrément à côté de tout ce qui aurait dû être important.
Il y a bien une ou deux scènes où l’on tente de confronter le protagoniste à ses quatre vérités, sauf que celles-ci s’avèrent presque toujours futiles, car on en revient toujours rapidement à la position entêtée du personnage, mais aussi du film lui-même.
On essaie même d’insister continuellement sur le fait que le protagoniste est pauvre pour en soutirer le plus d’empathie possible du public, mais on a toujours plus de mal à adhérer à son entêtement à maintenir son innocence, au risque de mettre tous les autres en danger. On explique cela par le fait qu’il ne veut pas pénaliser les autres et que les élèves méritent mieux, lire ici: sa présence, voire son enseignement. Hum!
Qu’importe l’efficacité du montage fébrile de Guerric Catala à maintenir la tension et à conserver l’intérêt, on n’arrive jamais à voir le tout comme un exercice pertinent, plutôt que sous la forme d’une personne privilégiée qui profite d’une plateforme, que beaucoup n’ont pas la chance d’avoir, pour crier plus fort.
Si, dans ce cas précis, il y a des manquements et des revirements qui auraient pu être évités, est-ce suffisant pour remettre en cause toute la force et l’importance de ceux qui osent dénoncer? Est-ce suffisant pour vouloir remettre en question la manière d’agir, ou de se comporter avec les uns et les autres pour s’assurer de ne pas affecter qui que ce soit sans le savoir?
Poser la question, c’est y répondre, sauf que le principal intéressé et son film Pas de vagues, qu’importe s’ils tentent de le sous-entendre, ne sont que bien peu intéressés à ouvrir le dialogue, beaucoup trop occupés à se regarder le nombril.
3/10
Pas de vagues a été vu dans le cadre de Cinémania. Pour l’instant, en l’absence d’un distributeur québécois, il n’y a pas de sortie prévue en salle au Québec.