The New York Times
Ses armoires sont remplies de pâtes, de riz et de couscous – assez pour nourrir une famille de cinq pendant des semaines. Des plats en plastique débordent de médicaments, et dans le jardin de sa maison de quatre chambres, on trouve un réservoir de plusieurs centaines de litres d’eau.
Nevine Mann ne se prépare pas à une guerre nucléaire, en vue d’une inondation ou pour un soulèvement dans la région habituellement tranquille de Cornwall, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Non, c’est plutôt le Brexit qui l’empêche de dormir la nuit.
Mme Mann, âgée de 36 ans, a rejoint le groupe des « Brexit preppers », des gens qui anticipent le chaos en mars, lorsque le Royaume-Uni quittera l’Union européenne, et qui font le plein de provisions.
Depuis plus de 18 mois, Londres tente de négocier un accord avec Bruxelles, accord sans lequel le pays pourrait être confronté à des embouteillages dans les ports, des camions coincés sur les autoroutes avec leur cargaison moisissant lentement, ainsi que des tablettes vides dans les épiceries et les pharmacies, en plus d’un manque d’approvisionnement énergétique et des fermetures d’usines. Le Royaume-Uni importe environ le tiers de sa nourriture de l’Union européenne, et les entreprises s’appuient sur des chaînes d’approvisionnement complexes qui pourraient éclater si des vérifications sont imposées aux milliers de camions qui franchissent la Manche tous les jours.
Puisqu’il s’agit du Royaume-Uni, les gens ne se réfugient pas en panique dans des bunkers, comme le font les Américains se préparant à l’apocalypse, et les Britanniques sont davantage à risque de stocker du papier toilette que des armes à feu. Mais alors que le temps commence à manquer pour négocier un accord officiel, et que le processus achoppe sur la délicate question d’une éventuelle frontière entre les deux Irlande, certains Britanniques se préparent en vue d’une crise qui pourrait transformer leur mode de vie.
« Les gens évoquent la Deuxième Guerre mondiale et le rationnement », avance Mme Mann, une ancienne sage-femme. « Les gens ont aussi parlé des pannes des années 1970, et la façon dont l’énergie était rationnée. »
« Cette crise a le potentiel de représenter un mélange des deux », craint-elle.
Rassurer la population
Le gouvernement de la première ministre Theresa May rejette ces craintes, mais ses propres ministres disposent de plans de contingence en vue d’une sortie de l’UE, le 29 mars, sans accord officiel, et pour la première fois depuis la fin du rationnement durant les années 1950, le pays dispose d’un ministre responsable de l’approvisionnement en nourriture. Plus inquiétant encore, le gouvernement a affiché des emplois disponibles dans le domaine de la préparation aux situations d’urgence.
De telles mesures pourraient servir à accroître la marge de manoeuvre de Londres dans les négociations avec Bruxelles, mais envoient aussi le signal selon lequel il existe une véritable possibilité de crise, du moins pendant un certain temps.
Un groupe Facebook appelé 48 Percent Preppers – en lien avec les 48% d’électeurs ayant voté pour demeurer au sein de l’UE – est dédié à la préparation en vue des impacts du Brexit, et compte plus de 1200 membres.
Parmi les autres conseils qui circulent, on trouve le pamphlet Getting Ready Together (Préparons-nous ensemble), qui décrit certains risques, dont un approvisionnement réduit en gaz naturel et en pétrole, des pénuries de nourriture et de médicaments, ainsi que des achats impulsifs menant à du rationnement.
« Il y a bien des choses que nous ne pouvons changer, mais nous pouvons nous préparer au pire, parce que personne n’est mort des suites d’une trop grande préparation », affirme l’auteur du pamphlet, James Patrick, un consultant en sécurité et ex-agent de police. « Nous avons un long historique d’être pris au dépourvu par des événements prévisibles. »
Controverse
La question du Brexit est si controversée que certains des partisans de la sortie de l’UE considèrent les « preppers » comme des alarmistes qui souhaitent faire paniquer la population et lui faire repenser tout le processus.
Lorsque Howard Hardiman, un artiste qui vit sur une île écossaise éloignée, a écrit sur Twitter qu’il faisait des provisions parce qu’il vivait à l’extrémité de la chaîne d’approvisionnement, il a été victime d’insultes de la part des pro-Brexit.
De son côté, le gouvernement a répété à plusieurs reprises qu’il n’était pas nécessaire de s’inquiéter, et qu’un accord avec l’UE était à portée de main. Une telle entente comporterait probablement une période de transition, durant laquelle peu de Britanniques constateraient une différence d’ici à décembre 2020. L’UE dit elle aussi vouloir un accord, et ce même si de récents échanges n’ont pas permis de faire débloquer les négociations.
Selon des analystes, impossible de rejeter les risques de problèmes d’approvisionnement et de baisse de la valeur de la monnaie britannique, ce qui viendrait ensuite pousser à la hausse le prix des aliments importés et d’autres biens – une autre raison en faveur de l’accumulation de réserves.
Au dire d’Ian Wright, directeur général de la Food and Drink Federation, qui représente des entreprises de l’industrie alimentaire, il n’existe pas, pour l’instant, de signes de déstabilisation de la chaîne d’approvisionnement, mais que les consommateurs commenceraient rapidement à préparer des stocks s’il n’y a pas d’accord sur le Brexit d’ici le mois prochain. La chaîne de supermarchés Tesco a ainsi fait savoir qu’elle envisageait des plans d’urgence pour conserver davantage de produits secs.
Réserves de médicaments
Pour ceux qui ont besoin de médicaments importés, un Brexit « dur », sans accord, est source d’une grande inquiétude, et le gouvernement a demandé aux compagnies pharmaceutiques de conserver six semaines de réserves, bien qu’il soit impossible de savoir ce qu’il adviendrait par la suite. Des cargaisons pourraient être transportées par la voie des airs, contournant des ports éventuellement congestionnés, mais des experts soutiennent qu’un Brexit « dur » viendrait aussi compliquer le transport aérien, clouant plusieurs avions européens au sol.
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