Depuis sa fondation il y a près de 13 ans, le Huffington Post s’est largement appuyé sur les contributeurs bénévoles, au sein desquels ont a retrouvé des aspirants auteurs, des journalistes citoyens et des vedettes provenant des rangs des connaissances de la cofondatrice du site, Arianna Huffington.
Comme l’écrit The New York Times, le HuffPost – et plus particulièrement sa page dédiée aux contributeurs – était l’un des premiers exemples du journalisme amateur qui s’est répandu sur internet.
Ladite page comprenait à la fois des articles et des essais, et certains contenus ont même mené à des sujets ayant fait les nouvelles à la grandeur d’un pays. En 2008, Mayhill Fowler, une femme affirmant avoir vendu sa voiture pour financer ses déplacements dans le cadre de la campagne électorale américaine, a déclenché une tempête en citant Barack Obama qui aurait déclaré, lors d’une levée de fonds, que les électeurs de la classe moyenne « s’accrochaient aux armes à feu ou à la religion ».
Mais les jours où le site encourageait Monsieur et Madame Tout-le-monde à rapporter des événements sont terminés. Jeudi, le HuffPost a annoncé qu’il mettait immédiatement fin à sa plateforme destiné aux contributeurs bénévoles – qui regroupait jusqu’à 100 000 collaborateurs sur la version américaine du site. Ce faisant, l’entreprise effectue probablement sa plus grande transformation depuis que l’actuelle rédactrice en chef, Lydia Polgreen, s’est jointe à la compagnie, il y a un an.
Cette décision s’inscrit dans une volonté d’alléger le site, ainsi que dans la volonté de Mme Polgreen de se concentrer sur le journalisme de qualité, tout en réduisant le nombre d’articles non vérifiés à une époque où les fausses nouvelles pullulent sur le web.
Un modèle dépassé
La volonté d’accueillir des gens de tous les horizons fut autrefois considérée comme une méthode permettant de démocratiser le journalisme. Mme Polgreen a toutefois déclaré en entrevue que les plateformes sans filtre étaient devenues « des endroits cacophoniques, chaotiques et où l’on peine à s’entendre réfléchir, des endroits où les voix sont enterrées et où celui qui crie le plus fort l’emporte ».
« Il est évident qu’un environnement où les fausses nouvelles gagnent en importance en est un où il est de plus en plus difficile d’appuyer l’idée consistant à disposer d’une plateforme ouverte à tous », a-t-elle ajouté.
Récemment, par exemple, un contributeur nommé Waqas KH a publié un article à propos de Felix Sater, un associé du président américain Donald Trump, pour lequel il avait été payé. Le site a depuis effacé l’article.
Au lieu d’une plateforme destinée aux contributeurs bénévoles, le site a mis en place de nouvelles sections présentant des textes d’opinion, et dont les auteurs seront payés, et travailleront avec des chefs de section du HuffPost.
L’élimination de la plateforme, qui engrangeait de 10 à 15% de la fréquentation du site américain, est le plus récent changement apporté au HuffPost depuis l’arrivée de Mme Polgreen, en remplacement de Mme Huffington. Dans un laps de temps réduite, elle a changé le nom du site et transformé l’apparence de la page d’accueil. Bien qu’elle mette la clé sous la porte de l’un des aspects les plus populistes du site, elle a également présenté une vision s’inspirant des tabloïds et des chaînes d’information locales, vision qui s’adresse à des Américains « qui ne paieront jamais pour obtenir de l’information ».
Départs et mises à pied
Sa première année à la tête de l’entreprise a comporté son lot de défis. Au cours de l’été, le HuffPost a mis à pied une quarantaine d’employés, y compris le seul gagnant d’un prix Pullitzer, David Wood. Au total, le HuffPost compte environ 210 employés dans ses salles de nouvelles aux États-Unis, en plus de 340 autres qui travaillent pour les diverses déclinaisons du site à l’étranger, y compris au Québec.
Au sein de l’entreprise, on a jugé que le bureau de Washington avait été particulièrement touché par ces compressions, une décision jugée comme étant déstabilisante en raison du long historique de journalisme à saveur politique de la part du HuffPost.
Par ailleurs, le chef du bureau de Washington, Ryan Grim, ainsi que le responsable de la section politique, Sam Stein, ont tous deux démissionné l’an dernier. Mme Polgreen a décidé de concentrer le journalisme politique sur des textes plus en profondeur, au-delà des villes de Washington et de New York.
« Nous pensons moins au nombre de gens qui circulent dans les corridors du Congrès, posant les mêmes questions aux mêmes sénateurs jour après jour », a-t-elle dit, avant d’ajouter qu’elle souhaitait disposer d’une « grande équipe de journalistes » qui effectueraient du reportage à partir d’un peu partout aux États-Unis.
Et si Mme Polgreen n’a pas hésité à partager sa vision pour le HuffPost et ses opinions à propos du journalisme, en apparaissant entre autres à trois reprises à l’émission Reliable Sources, qui analyse les médias sur les ondes de CNN, ses plans ambitieux n’ont pas encore porté fruit.
Une renaissance qui tarde
Par exemple, elle n’a toujours pas embauché de journalistes à l’extérieur de Washington et de New York. En entrevue, elle affirme vouloir d’abord mettre sur pied une équipe éditoriale, et que des embauches suivraient cette année.
La fréquentation du site est en baisse depuis quelques années, bien que Mme Polgreen dise s’intéresser davantage aux liens avec les lecteurs qu’à la taille du lectorat. Ni Mme Polgreen, ni Jared Grusd, le président du HuffPost, n’ont voulu dire si le site était rentable.
Lors de l’entrevue avec le Times, dans une salle de conférence qui lui sert de bureau, Mme Polgreen, elle-même une ancienne correspondante et cheffe de pupitre au quotidien new-yorkais, a fait preuve d’un enthousiasme certain à propos de ses ambitions mondiales – environ 60% du trafic du site provient de l’extérieur des États-Unis), et de ses plans pour le modèle d’affaires du HuffPost – elle n’exclut pas un modèle basé sur des abonnements à l’avenir.
Pas d’inquiétudes, non plus, à l’idée de gérer un site historiquement situé à gauche de l’échiquier politique, alors que le grand patron est le géant des télécommunications Verizon.
« Nous travaillons au sein d’une compagnie qui développe de nouveaux produits particulièrement excitants qui seront consommés sur des téléphones intelligents », a-t-elle dit. « Et nous travaillons carrément pour la compagnie de téléphonie. »
En complément:
https://www.pieuvre.ca/2018/01/10/les-fausses-nouvelles-en-2018-plus-de-portee-moins-dimpact/