La Corée du Nord a annoncé mardi avoir réussi son premier test d’un missile balistique intercontinental, soutenant ainsi avoir franchi une étape essentielle dans le cadre de ses démarches pour développer des armes nucléaires capables d’atteindre les États-Unis continentaux.
Cette annonce survient quelques heures après un tir qui, selon l’armée américaine, a envoyé le missile en vol pendant 37 minutes. Cette durée, estiment des analystes, sous-entend une amélioration importante de la portée des missiles du Nord, amélioration qui pourrait permettre d’envoyer des armes jusqu’à 4000 kilomètres de distance, et de frapper l’Alaska.
Lors d’une première annonce, le Commandement américain du Pacifique a décrit l’arme comme étant un missile à moyenne portée, plutôt qu’un missile balistique intercontinental, écrit le New York Times. Des responsables sud-coréens et japonais ont toutefois indiqué qu’ils étudiaient les données disponibles pour déterminer s’il s’agissait effectivement d’un ICBM.
Le missile a été lancé de la base aérienne de Banghyon, dans la ville de Kusong (nord-ouest), et a volé sur une distance d’environ 900 kilomètres avant de s’écraser en mer entre la Corée du Nord et le Japon, a précisé l’armée sud-coréenne par voie de communiqué.
Au dire de Tokyo, l’arme s’est abîmée dans sa zone économique exclusive, au large de la côte ouest de l’archipel. En vertu d’une série de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, la Corée du Nord ne peut développer ou tester des missiles balistiques.
Si le Nord a réalisé d’importants progrès dans ses programmes d’armement, les experts estiment que la dictature n’est pas en mesure de suffisamment miniaturiser ses ogives nucléaires pour les installer à bord d’ICBM. Malgré tout, les législateurs américains voient depuis longtemps le développement d’un tel missile balistique comme une limite qu’il faudrait empêcher le Nord de franchir.
Le test de missile ajoute un nouvel élément volatil aux démarches de l’administration Trump visant à restreindre les ambitions nucléaires du Nord, qui comprennent des exercices navals au large de la péninsule coréenne et de la pression sur la Chine, le seul allié d’envergure de Pyongyang. Lors d’un appel téléphonique animé, dimanche, le président Donald Trump a mis en garde son homologue chinois, Xi Jinping, contre le fait que les États-Unis étaient prêts à agir seuls dans le dossier nord-coréen.
Si le missile a mis 37 minutes à franchir 900 kilomètres, cela voudrait dire que sa trajectoire lui a fait atteindre une altitude particulièrement élevée dépassant les 2000 kilomètres, mentionne David Wright, codirecteur du Programme de sécurité mondiale au sein de l’Union of Concerned Scientists. Un tel missile posséderait une portée maximale de l’ordre de 6700 kilomètres en fonction d’une trajectoire standard, précise-t-il. La Corée du Nord affirme que le missile, identifié sous le nom de Hwasong-14, a volé pendant 39 minutes. « Cette portée ne serait pas suffisante pour atteindre les États autres que l’Alaska ou Hawaï », mais l’État arctique serait entièrement menacé par ce type d’arme, mentionne M. Wright dans un billet de blogue.
Le missile pourrait être l’arme à la plus longue portée jamais testée par la Corée du Nord, et la longue durée de son vol « ressemble davantage à un ICBM pouvant cibler l’Alaska, voire Hawaï », soutient pour sa part Jeffrey Lewis, directeur du East Asia Nonproliferation Program au Middlebury Institute of International Studies.
« C’est quelque chose de gros – on dirait que la Corée du Nord a testé un ICBM », écrit-il dans un courriel. « Même si c’est un missile d’une portée de 7000 kilomètres, une arme pouvant franchir 10 000 kilomètres et toucher New York n’est pas impensable pour encore longtemps. »
Des analystes précisent toutefois que bien qu’ils aient été impressionnés par la progression rapide et constante des programmes de missiles de la Corée du Nord, la longue durée du vol en soi ne porte pas à croire que Pyongyang a maîtrisé les technologies particulièrement complexes nécessaires pour développer un ICBM à tête nucléaire, comme la nécessité de séparer l’ogive et la guider vers sa cible.
En faisant adopter une trajectoire plus élevée aux missiles avant de les laisser retomber vers le sol à plus grande vitesse, la Corée du Nord soutient avoir testé sa technologie de « rentrée balistique », qui peut protéger une tête nucléaire contre la chaleur intense et les vibrations alors qu’elle traverse l’atmosphère. Mais il est encore impossible de savoir si Pyongyang a correctement surmonté cet obstacle technologique, mentionnent des experts.
Plus tôt cette année, la Corée du Nord a défié les résolutions des Nations unies en utilisant une fusée pour placer un satellite en orbite, un geste vu par plusieurs comme une couverture pour le développement d’un ICBM. En comparaison avec la fusée, qui a été lancée d’un pas de tir complexe, le missile testé mardi semble avoir utilisé un carburant différent et un meilleur moteur, indique M. Lewis. Des photos publiées par l’agence de presse officielle du Nord indiquent que l’appareillage était suffisamment petit pour être transporté par camion.
Avant l’annonce officielle de Pyongyang, avec force fanfare et musique patriotique, M. Trump avait pris note du lancement sur Twitter, laissant entendre qu’il était temps que la Chine agisse de façon décisive dans le dossier nord-coréen, et « mette fin à cette absurdité une bonne fois pour toutes ». Mardi, des dirigeants chinois ont critiqué le test de missile, affirmant qu’il violait les règles des Nations unies.
Malgré tout, le gouvernement chinois n’a donné aucun indice voulant qu’il s’apprête à poser des gestes plus concrets envers Pyongyang, appelant plutôt à la reprise des échanges diplomatiques. « Je dois réitérer que la situation dans la péninsule coréenne est complexe et délicate », a ainsi déclaré Geng Shuang, porte-parole des Affaires étrangères chinoises, lors d’une conférence de presse à Pékin. « Nous espérons que toutes les parties concernées pourront demeurer calmes et faire preuve de retenue, pour que les tensions puissent être apaisées le plus tôt possible. »
Plus tard, à Moscou, où le président Xi effectuait une visite officielle, le président russe Vladimir Poutine a indiqué que les deux hommes avaient accepté de mettre de l’avant une proposition conjointe pour régler la crise coréenne en gelant simultanément les programmes nucléaire et de missiles du Nord, ainsi que les exercices militaires conjoints des États-Unis et la Corée du Sud. Dans une déclaration retransmise par la télévision russe, M. Poutine a parlé de cette solution comme d’une « priorité politique conjointe en matière d’affaires étrangères ».
Donald Trump doit rencontrer MM. Poutine et Xi lors du sommet du G20, en Allemagne, et Cheng Xiaohe, professeur associé en relations internationales à l’Université Renmin, à Pékin, affirme que le test de missile les forcera à trouver une forme de terrain d’entente sur la Corée du Nord. Il n’a toutefois pas spécifié ce que ce terrain pourrait être, mais a suggéré qu’il pourrait être plus difficile pour M. Xi de soutenir Pyongyang.
D’autres analystes croient que le lancement pourrait placer l’administration Trump dans une position précaire, puisque Washington a indiqué qu’un tel missile, qui serait capable d’atteindre des parties des États-Unis, était une ligne rouge. « Cela n’arrivera pas », a lancé le président sur Twitter, en janvier, sans toutefois précisé ce qu’il adviendrait dans cette situation.