Alors que l’enquête sur un projet d’attentat fomenté par des militaires de la Bundeswehr a pris de l’ampleur avec l’arrestation ce mardi d’un troisième suspect, l’Allemagne s’interroge sur les failles qui ont permis au lieutenant Franco A. de gravir les échelons.
Cet officier de 28 ans, qui servait dans la Brigade franco-allemande d’Illkirch, en Alsace, a été arrêté le 26 avril dernier.
La justice allemande a révélé qu’il s’était fait enregistrer comme réfugié syrien – alors qu’il ne parle pas arabe – et le soupçonne, avec ses complices, d’avoir projeté un attentat contre une personnalité de la classe politique allemande impliquée dans la politique d’accueil des réfugiés décidée en septembre 2015 par la chancelière Angela Merkel.
Parce que le lieutenant A. s’était fait inscrire comme demandeur d’asile, et que ses empreintes digitales figuraient comme tel dans les fichiers, les enquêteurs auraient été mis sur la piste d’un acte commis par un réfugié syrien, une manipulation à même de raviver le débat sur les liens entre immigration et insécurité qui a saisi l’Allemagne en 2015-2016.
Dans une interview accordée à la télévision, la ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, a précisé ce « scénario de l’horreur »: « Une arme aurait été retrouvée sur les lieux avec des empreintes digitales. Nous les aurions entrées dans le système et elles auraient coïncidé avec celles d’un réfugié syrien. »
Dès l’annonce de l’arrestation de Franco A., l’Allemagne s’est demandée comment un homme ne parlant pas arabe et n’ayant pas d’origine étrangère avait réussi à se faire inscrire en janvier 2016 comme réfugié syrien à Giessen, près de Francfort. « Je ne peux pas dire pourquoi cela n’a pas été remarqué », avait commenté la procureure Nadja Niesen pendant une conférence de presse à Francfort à l’annonce de son arrestation.
« Génocide »
D’autres éléments troublants sont apparus depuis, mettant en lumière le laxisme dont a bénéficié le lieutenant Franco A. En janvier 2014, alors qu’il suit un cursus de deuxième cycle dans l’école militaire française de Saint-Cyr, l’officier présente une thèse dans laquelle il avance que la culture des droits de l’homme risque de conduire au génocide des races occidentales.
Le commandant français appelé à évaluer son travail rejette sa thèse et prévient les supérieurs allemands de son élève. « Si c’était un élève français, nous l’aurions limogé », leur dit-il.
Mandaté pour examiner à son tour les travaux théoriques du lieutenant A., un universitaire confirme à de hauts gradés de la Bundeswehr que sa thèse contient des éléments racistes et radicalement nationalistes.
Mais les supérieurs du lieutenant préfèrent passer l’affaire sous silence pour ne pas mettre en danger la carrière d’une recrue jugée prometteuse. Ils se contentent d’un avertissement verbal et lui permettent de réécrire sa thèse avant de l’affecter à la Brigade franco-allemande d’Illkirch.
Or les règles en vigueur dans l’armée allemande obligent à signaler au renseignement militaire tout signe d’extrémisme parmi les soldats de la Bundeswehr. « Quand sa thèse de maîtrise dit que l’immigration conduit au génocide génétique des peuples occidentaux, il aurait dû être clair pour tout le monde que nous étions face à des idées nazies », a souligné Ursula von der Leyen.
Les avertissements du commandant français ayant été ignorés, il a fallu un renseignement de la police autrichienne en début d’année pour mettre au jour les projets de Franco A. et de ses complices, parmi lesquels un autre militaire, Maximilian T., arrêté ce mardi.
Car le lieutenant a été interpellé en janvier par des policiers autrichiens alors qu’il tentait de récupérer une arme chargée dissimulée dans les toilettes de l’aéroport international de Vienne, où il avait participé à un bal des officiers.
Les enquêteurs allemands ont découvert par la suite qu’il avait frauduleusement sorti un millier de balles des stocks de munitions de la Bundeswehr et les avait entreposées au domicile d’un de ses complices, un étudiant de 24 ans. Un troisième complice, soldat comme le lieutenant A., a été arrêté, a annoncé la justice ce mardi. On ignore encore son degré de participation dans le projet.
« L’accusé est fortement soupçonné d’avoir planifié un acte grave de violence contre l’État par conviction d’extrême droite », a simplement indiqué le bureau du procureur de Karlsruhe dans un communiqué.
La présence de sympathisants d’extrême droite est un sujet de préoccupation pour nombre d’armées. Pour la Bundeswehr, créée en 1955 sur la promesse d’une armée de « soldats-citoyens » à jamais immunisée contre une résurgence du nazisme, la question est particulièrement sensible.
Des députés Verts ont réclamé une enquête sur la possible présence d’un réseau d’extrême droite au sein de l’armée allemande.
La découverte dans sa caserne d’Illkirch puis dans un autre baraquement de l’armée allemande, à Donaueschingen, dans le sud-ouest du pays, d’objets de collection de la Wehrmacht, l’armée du régime nazi, a conduit le chef d’état-major de l’armée allemande à ordonner une fouille généralisée de toutes les casernes du pays.
D’après le ministère de la Défense, 18 militaires de la Bundeswehr ont été démis, au moins temporairement, de leurs fonctions entre 2012 et 2016 en raison d’opinions néo-nazies. Un chiffre à comparer aux 250 000 soldats qui forment les effectifs des forces armées allemandes.