Recep Tayyip Erdogan a clamé victoire au référendum sur l’élargissement de ses pouvoirs présidentiels, dimanche, saluant la « réforme la plus importante de l’histoire de la Turquie » bien que les résultats encore officieux soient remis en cause par une partie de l’opposition.
Après dépouillement de 99% des bulletins de vote, le « oui » recueillait 51,4% des suffrages, selon les chiffres officieux diffusés par l’agence de presse Anatolie.
Le président de la commission électorale (YSK) a confirmé dans la soirée la victoire du « oui » avec 1,25 million de voix de plus que le « non » alors qu’il restait 600 000 bulletins à dépouiller. Près de 55 millions de Turcs étaient appelés aux urnes.
Promettant des résultats officiels dans une douzaine de jours, Sadi Guven s’est efforcé de justifier sa décision de considérer comme valides « jusqu’à preuve du contraire » les bulletins qui n’ont pas été tamponnés par les scrutateurs par le fait que l’YSK avait reçu de « nombreuses plaintes » à ce sujet.
Le principal parti d’opposition, le CHP (Parti républicain du peuple, laïque), a estimé que cette décision de dernière minute posait la question de la « légitimité » du scrutin. Son président, Kemal Kilicdaroglu, a reproché à la commission d’avoir rendu le vote « controversé ». Recep Tayyip Erdogan a balayé d’un revers de la main ces critiques pour ne retenir qu’un résultat qu’il a jugé « clair » en faveur de la réforme constitutionnelle qui va lui permettre de concentrer l’essentiel du pouvoir exécutif entre ses mains et de rester, s’il le souhaite, au pouvoir au moins jusqu’en 2029.
« Le pays a pris une décision historique », s’est félicité le chef de l’État devant sa résidence d’Istanbul, en insistant sur le rôle « décisif » du vote des Turcs de l’étranger. Recep Tayyip Erdogan a soufflé le chaud et le froid, tendant la main à ceux qui ont voté « non » – « toutes les voix sont importantes », a-t-il dit – tout en mettant implicitement en garde ceux qui contesteraient le résultat du référendum.
« Tout le monde devrait respecter la décision de notre nation, en particulier nos alliés », a-t-il insisté alors que lacampagne électorale a fortement dégradé les relations entre la Turquie et plusieurs pays européens, Allemagne et Pays-Bas en tête.
Peine de mort
Sans se prononcer sur le résultat du vote, la Commission européenne comme le Conseil européen ont appelé dimanche soir Ankara à chercher un « consensus national le plus large possible » et à « considérer les prochaines étapes avec prudence ».
Devant ses partisans réunis à Istanbul, Recep Tayyip Erdogan a indiqué qu’il entendait au contraire accélérer les reformes et entamer sans attendre des discussions sur le rétablissement de la peine apitale.
« Nous soumettrons si nécessaire à référendum la question de la peine de mort », a-t-il dit. Son premier ministre, Binali Yildirim, a pour sa part estimé que le résultat du référendum était la « meilleure réponse » aux commanditaires de la tentative de coup d’Etat manquée de juillet dernier, aux militants séparatistes kurdes et aux forces étrangères hostiles à la Turquie.
Si cette réponse s’est dessinée dès la fermeture des bureaux de vote, le score du « oui » n’a cessé de s’éroder à mesure que dépouillement avançait et les trois principales villes du pays, Istanbul, Izmir et la capitale Ankara, ont notamment dit « non » au chef de l’État, selon l’agence Anatolie. Le CHP a en outre annoncé qu’il allait demander un nouveau décompte de jusqu’à 60% des bulletins en dénonçant des « actes illégaux » au bénéfice du camp du « oui ».
Un autre parti opposé à la réforme constitutionnelle, le HDP (Parti démocratique des peuples, pro-kurde), a lui aussi dénoncé des « irrégularités » auprès des autorités électorales et critiqué la tenue du scrutin dans un contexte d’état d’urgence et de répression des militants pro-kurdes.
Les chiffres cités par l’agence Anatolie montrent que le « oui » a recueilli de forts suffrages en Anatolie centrale tandis que le « non » a dominé dans les grandes villes, les régions côtières proches de la mer Égée et dans le Sud-Est à majorité kurde.
Les Turcs résidant à l’étranger avaient déjà voté au préalable et l’Allemagne, où réside la plus grande diaspora turque, s’est félicitée dimanche par la voix de son ministre des Affaires étrangères que la campagne qui a envenimé les relations entre les deux pays soit enfin terminée.
Pays divisé
Le référendum a profondément divisé le pays. Le président Erdogan et ses partisans font valoir qu’il est nécessaire de modifier la Constitution, dont la version actuelle a été écrite par les généraux à la suite d’un coup d’Etat en 1980, pour affronter les enjeux auxquels est confrontée la Turquie en matière de sécurité et éviter les gouvernements de coalition fragiles que le pays a connus par le passé. « C’est l’occasion de reprendre le contrôle de notre pays », a déclaré Bayram Seker, un auto-entrepreneur de 42 ans, après avoir voté « oui » à Istanbul.
« Je ne pense qu’il faut être effrayé par le règne d’un homme seul. La Turquie a été dirigée dans le passé par un seul homme », a-t-il ajouté par allusion à Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République turque.
Les opposants à la réforme disent craindre une dérive autoritaire dans un pays où quelque 40 000 personnes ont été arrêtées et 120 000 limogées ou suspendues de leur fonctions dans le cadre de la répression qui a suivi le coup d’État manqué de juillet dernier.
« J’ai voté ‘non’ parce je ne veux pas que tout le pays et ses pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire soient entre les mains d’un seul homme. Cela ne rendra pas la Turquie plus forte ou meilleure comme ils le prétendent », a déclaré Hamit Yaz, un capitaine de navire âgé de 34 ans, Le scrutin aura aussi des conséquences sur les relations qu’entretient la Turquie, état membre de l’OTAN, avec l’Union européenne.
Ankara a accepté de réduire le flot de migrants partant de son pays en direction de l’UE, au terme d’un accord conclu en mars 2016, mais Recep Tayyip Erdogan a fait savoir qu’il pourrait revenir sur cet accord à l’issue du référendum.
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