Pour régler sa première grosse crise diplomatique, le président des États-Unis s’est appuyé sur les experts militaires plutôt que sur les politiques qui ont occupé le haut du pavé lors des premières semaines de sa présidence et a montré une volonté d’agir vite, soulignent ceux qui se sont retrouvés au coeur de l’action.
Très vite, quelques heures après l’attaque chimique qui a fait des dizaines de morts, mardi à Khan Cheikhoune, un village de la province d’Idlib dans le nord-ouest de la Syrie, les conseillers de Donald Trump spécialisés dans le renseignement lui ont fourni des preuves que le président syrien Bachar al-Assad était derrière cette atrocité.
Le président républicain, pour qui la priorité en Syrie était la lutte contre l’Etat islamique, a immédiatement ordonné qu’il y ait une liste de sanctions possibles contre Assad, selon de hauts responsables qui ont participé aux réunions à huis clos qui se sont succédées pendant deux jours.
Et jeudi après-midi, l’ancien promoteur immobilier devenu président de la première puissance mondiale a ordonné le lancement d’un déluge de missiles de croisière Tomahawk sur la base aérienne de Chayrat au nord de Damas, désignée par le Pentagone comme ayant servi à stocker les armes chimiques utilisées dans l’attaque de mardi sur Khan Cheikhoune.
« Pour moi, cela démontre vraiment que le président Trump veut agir quand des gouvernements ou des décisionnaires vont trop loin (…) Il est clair que c’est la déclaration que le président Trump a faite au monde », a déclaré le secrétaire d’État Rex Tillerson à la presse.
Des responsables de l’administration américaine racontent qu’ils ont eu des réunions avec le président dès mardi soir. Là, ils ont présenté des possibilités d’actions: sanctions, pressions diplomatiques et un plan militaire pour frapper la Syrie, établi bien avant son arrivée au pouvoir.
« Il avait beaucoup de questions. Il a dit qu’il voulait y réfléchir mais il y avait aussi des points qu’il voulait soulever. Il voulait que les possibilités soient affinées », déclare un responsable.
Mercredi soir, les conseillers militaires de Trump lui ont dit qu’ils savaient quelle base aérienne avait été utilisée pour lancer l’attaque chimique et qu’ils avaient repéré le Soukhoï-22 qui l’avait menée.
Le président leur a dit de se concentrer sur les plans militaires. « Il s’agissait de les dépoussiérer et de les adapter à la cible fixée et au moment », raconte un autre responsable. Ce même après-midi, Donald Trump est apparu dans la Roseraie de la Maison-Blanche au côté du roi Abdallah de Jordanie et a déclaré que l’attaque « innommable » qui avait visé « même de beaux bébés » avait changé son point de vue sur Bachar al-Assad. Alors qu’on lui demandait s’il préparait une nouvelle politique sur la Syrie, il a répondu: « Vous verrez ».
Jeudi en fin d’après-midi, le général Joseph Dunford, chef d’état-major interarmes, a tenu une réunion au Pentagone pour finaliser le projet de frappes militaires alors que le président se dirigeait vers sa résidence de Mar-a-Lago en Floride pour y rencontrer son homologue chinois Xi Jinping.
Là-bas, lors d’une autre réunion, Donald Trump a donné son aval au lancement des missiles et est allé dîner avec Xi Jinping.
Intrigues de palais
Et, au moment où les deux présidents terminaient leur repas, deux navires de guerre américains stationnés dans l’est de la Méditerranée, l’USS Ross et l’USS Porter, ont tiré 59 missiles de croisière sur la base militaire syrienne visée aux alentours de 20h40 sur la côte Est (00h40 GMT, 02h40 du matin à Paris).
Pendant les trois jours de réunions, les conseillers militaires décisifs pour Donald Trump ont été son conseiller à la sécurité nationale H.R. McMaster, le secrétaire à la Défense Jim Mattis et le chef d’état-major des armées américaines, le général Joseph Dunford, tous militaires ou anciens militaires, expliquent ceux qui ont participé aux réunions.
Dans une Maison-Blanche qui vit au rythme des intrigues de palais, une lutte d’influence est apparue entre H.R. McMaster et Stephen Bannon, principal conseiller de Donald Trump qui a perdu son siège au Conseil de sécurité nationale mercredi en pleins préparatifs militaires.
Le département d’État a dit aux alliés des États-Unis jeudi qu’une frappe contre la Syrie était imminente, sans fournir de détails, raconte un responsable.
Mais la décision a suscité la colère de la Russie, le grand allié de Bachar al Assad. La possibilité d’un rapprochement entre Moscou et Washington que Trump avait laissé entrevoir, notamment dans la lutte contre l’État islamique, s’en trouve amenuisée.
Il ne faut pas forcément en déduire que le chef de la Maison blanche ait ce faisant renoncé à sa politique « America First », a indiqué le patron du département d’Etat Rex Tillerson.
Et, pour l’un des autres responsables qui ont participé à la planification de l’attaque syrienne, les missiles de croisière qui se sont déversés sur la base de Chayrat sont une opération « ponctuelle ».