Alors qu’il était encore sénateur de l’Alabama, Jeff Sessions s’est entretenu à deux reprises, l’an dernier, avec l’ambassadeur russe aux États-Unis, ont indiqué des responsables du département de la Justice.
M. Sessions, publie le Washington Post, n’a pas divulgué ces rencontres lorsqu’il a été interrogé à propos de possibles contacts entre des membres de la campagne du président Trump et des représentants de Moscou lors des auditions de confirmation de M. Session en vu de lui offrir le poste de procureur général.
L’une de ces rencontres était une conversation privée entre M. Sessions et l’ambassadeur russe Sergeï Kisliak qui a eu lieu en septembre dans le bureau du sénateur, au plus fort de ce que des responsables du renseignement américain qualifient de cybercampagne russe pour influencer la présidentielle américaine.
Ces discussions précédemment non-divulguées pourraient alimenter de nouveaux appels de membres du Congrès en faveur de la nomination d’un procureur spécial afin d’enquêter sur le rôle présumé de la Russie lors de l’élection. En tant que procureur général, M. Sessions chapeaute la Justice et le FBI, qui mènent des enquêtes sur l’influence russe et de possibles liens avec des associés de M. Trump. Jusqu’à maintenant, M. Sessions a refusé les appels à récusation.
Lorsque M. Sessions a discuté avec l’ambassadeur en juillet et en septembre, le sénateur était un membre important de l’influent Comité des services armés, ainsi que l’un des principaux conseillers politiques de M. Trump. M. Sessions a également joué un rôle important pour soutenir la candidature du futur président, après avoir rejoint la campagne en février 2016.
Lors de son passage devant le comité de confirmation, le 10 janvier, M. Sessions s’est fait demander par le sénateur démocrate Al Franken ce qu’il ferait s’il venait à prendre connaissance du fait qu’une personne liée à la campagne Trump avait communiqué avec le gouvernement russe pendant le déroulement de la campagne présidentielle 2016.
« Je ne suis pas au courant de quelque activité que ce soit », a-t-il répondu. « J’ai été qualifié de porte-parole une fois ou deux pendant cette campagne, et je n’ai pas eu de communications avec les Russes. »
Selon des responsables, M. Sessions n’a pas estimé que ces conversations étaient importantes en lien avec les questions des législateurs, et ne se souvenait pas précisément de ce qu’il avait discuté avec M. Kisliak. « Il n’y a absolument rien eu de malhonnête dans sa réponse », a déclaré Sarah Isgur Flores, la porte-parole de M. Sessions.
En janvier, le sénateur démocrate Patrick J. Leahy a demandé à M. Sessions de répondre à des questions écrites. « Plusieurs des candidats recrutés par le président désigné ou de ses principaux conseillers ont des liens avec la Russie. Avez-vous été en contact avec quiconque connecté de près ou de loin avec le gouvernement russe en lien avec l’élection de 2016, que ce soit avant ou après le jour du scrutin? », a écrit M. Leahy.
Ce à quoi M. Sessions a répondu par un seul mot: « Non. »
Au dire de responsables du département de la Justice, M. Sessions a rencontré M. Kisliak le 8 septembre en tant que membre du Comité des services armés, plutôt qu’en tant que porte-parole de la campagne Trump. « Il s’est fait questionner, pendant son témoignage, à propos de communications entre la Russie et la campagne Trump – pas à propos de rencontres menées en tant que sénateur et membre du comité », a soutenu Mme Flores.
Celle-ci a ajouté que M. Session avait eu, l’an dernier, plus de 25 conversations avec des ambassadeurs étrangers en tant que membre haut placé de son comité, y compris ceux de Grande-Bretagne, de la Corée, du Japon, de la Pologne, de l’Inde, de la Chine, du Canada, de l’Australie et de l’Allemagne, en plus de M. Kisliak.
Dans le cas de la réunion de septembre, un responsable départemental qui a accompagné le procureur général a déclaré qu’il « n’y a simplement pas de souvenir précis de ce qui a été dit ».
L’ambassadeur russe n’a pas répondu aux demandes de commentaires du Washington Post à propos de ses contacts avec M. Sessions.
Le journal de la capitale américaine a contacté les 26 membres du Comité sénatorial sur les services armés, en date de 2016, pour savoir si d’autres législateurs, en plus de M. Sessions, avaient rencontré M. Kisliak cette même année. Sur les 20 personnes ayant répondu, chaque sénateur, y compris le président républicain John McCain, a dit ne pas avoir rencontré l’ambassadeur russe l’an dernier. Les autres législateurs membres du groupe n’avaient pas répondu, en date de mercredi soir.
« Les membres du comité n’ont pas tracé d’itinéraire vers la porte de M. Kisliak », a déclaré un important employé du comité sénatorial, invoquant des tensions dans les relations avec Moscou. En plus de M. Sessions, a ajouté cet employé, « il n’y a pas eu des tas de membres qui cherchent à rencontrer M. Kisliak dans le cadre de leurs démarches liées au comité ».
Le mois dernier, le Washington Post a rapporté que le conseiller à la sécurité nationale du président, Michael Flynn, avait discuté des sanctions américaines avec l’ambassadeur durant le mois précédant l’entrée en poste de M. Trump, contrairement aux affirmations de Mike Pence, alors vice-président désigné, et d’autres hauts responsables liés à M. Trump. M. Flynn a été forcé de démissionner la semaine suivante.
Interrogé à propos des contacts de M. Sessions avec M. Kisliak, M. Franken a déclaré par communiqué de presse que « s’il est vrai que le procureur général Sessions a rencontré l’ambassadeur russe dans le cadre de la campagne, alors je suis particulièrement troublé par le fait que sa réponse à mes questions pendant son témoignage en vue de sa conformation était, à tout le moins, pas tout à fait honnête ».
« Il est maintenant plus clair que jamais que le procureur général ne peut pas, en bonne conscience, superviser une enquête du département de la Justice et du FBI sur une possible connexion entre M. Trump et la Russie, et il doit se récuser immédiatement », a ajouté M. Franken.
Des responsables travaillant ou ayant travaillé par le passé pour le gouvernement américain disent voir M. Kisliak comme un diplomate, et non pas comme un agent de renseignement. Mais ils ignorent à quel point l’ambassadeur était impliqué dans la campagne russe pour influencer l’élection. Ou même s’il était impliqué pour commencer.
Steven Hall, ancien chef des opérations russes à la CIA, a déclaré que la Russie aurait été franchement intéressée à entretenir une relation avec M. Sessions, en raison de son rôle dans plusieurs comités importants au Congrès, et en tant que conseiller des premiers jours auprès de M. Trump.
L’appartenance de M. Sessions au Comité des services armés en aurait fait une priorité pour l’ambassadeur russe. « Le fait qu’il s’était déjà positionné auprès de M. Trump, du moins sur le plan idéologique, aurait été un atout important pour M. Kisliak », a dit M. Hall.
Michael McFaul, un professeur de Stanford qui, jusqu’en 2014, était l’ambassadeur américain en Russie, a dit ne pas être surpris par le fait que M. Kisliak cherche à rencontrer M. Sessions. « L’aspect le plus étrange est le fait de dissimuler le tout, dit-il. Tout cela se trouvait au coeur des discussions à propos de ce que faisait la Russie pendant l’élection. »
Deux mois avant la rencontre de septembre, M. Sessions a participé en juillet à un événement de la Heritage Foundation, en marge de la convention républicaine, événement auquel participaient quelque 50 ambassadeurs. Après la fin de la soirée, un petit groupe d’ambassadeurs a approché M. Sessions alors qu’il quittait le podium, et M. Kisliak était parmi eux, a mentionné le responsable du département de la Justice.
M. Sessions s’est alors entretenu individuellement avec certains ambassadeurs, y compris M. Kisliak, poursuit le responsable. Lors de ces échanges informels, les ambassadeurs ont exprimé leur appréciation du discours de M. Sessions, et certains d’entre eux l’ont invité à des événements qu’ils sponsorisaient.
Des parlementaires démocrates, y compris des membres haut placés du Comité sénatorial en matière de justice, ont demandé au cours des dernières semaines que M. Sessions se retire de l’enquête gouvernementale sur de possibles liens entre des associés de M. Trump et la Russie. La semaine dernière, le représentant républicain Darrel Issa, un membre responsable du comité de la Chambre en matière de justice, est devenu l’un des rares représentants républicains à déclarer publiquement qu’une enquête indépendante était nécessaire.
D’ailleurs, l’avis de M. Sessions sur la Russie a changé avec le temps.
Dans une entrevue accordé à RealClear World, en marge du German Marshall Fund Forum, à Bruxelles en 2015, l’homme avait déclaré que les États-Unis et l’Europe devaient « s’unir » contre la Russie.
Plus d’un an plus tard, il a parlé de renforcer la relation avec le Kremlin. Lors d’un entretien donné en juillet 2016 à CNN, M. Sessions a salué le plan de M. Trump pour rétablir les liens avec le président russe Vladimir Poutine. « Donald Trump a raison. Nous devons trouver une façon de mettre fin à ce cycle d’hostilité qui met le pays à risque, nous coûte des milliards en défense, et provoque des hostilités », a-t-il déclaré à l’émission State of the Union.
Poutine est-il un bon leader? M. Sessions a répondu que « nous avons beaucoup de mauvais dirigeants, à travers le monde, qui fonctionnent selon des méthodes qui ne seraient jamais tolérées aux États-Unis. Mais la question est de savoir si nous pouvons avoir une relation efficace avec la Russie. Utiliser des intérêts qui sont similaires d’une façon réaliste et mettre fin à l’hostilité dangereuse avec la Russie est possible, je crois bien. »