Le Kremlin a beau démentir s’être immiscé dans la campagne présidentielle américaine pour favoriser la victoire de Donald Trump, cette affaire sans précédent complique la tâche du futur président des États-Unis pour parvenir à un réchauffement des relations entre Washington et Moscou.
Que cette ingérence russe, étayée par un rapport de la communauté américaine du renseignement, ait contribué au succès du candidat républicain le 8 novembre est indémontrable.
Il n’en reste pas moins, que fondé ou pas, le soupçon pesant sur le président élu à une dizaine de jours de son investiture se dresse comme un sérieux obstacle sur la voie du rapprochement que Donald Trump et Vladimir Poutine disent vouloir opérer.
Pour ne rien arranger, les responsables du renseignement américain ont remis vendredi à Donald Trump un document de 35 pages faisant état de tentatives russes de déstabilisation de la présidentielle américaine et de la collecte par le Kremlin d’informations compromettantes sur l’homme d’affaires.
La présidence russe a démenti ces faits non corroborés et Donald Trump a réagi, comme à son habitude, par une série de tweets dénonçant un complot contre sa personne.
« D’abord, ça a été la satisfaction en Russie quand Trump a été élu et ça l’a été encore plus quand Trump a choisi Rex Tillerson comme secrétaire d’État », explique Alexeï Makarkin, directeur adjoint du Centre pour les technologies politiques à Moscou. « La satisfaction est bien moindre désormais », juge-t-il.
Rex Tillerson, ancien PDG d’Exxon-Mobil, est considéré comme un ami de la Russie. Son entreprise n’avait pu mener à bien un important projet dans l’Arctique russe en raison des sanctions économiques imposées pour l’ingérence en Ukraine.
Donald Trump et son administration risquent désormais d’apparaître comme les laquais de Moscou chaque fois qu’ils amorceront un rapprochement.
De l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, Vladimir Poutine attend un assouplissement, voire une suppression des sanctions prises après l’annexion de la Crimée en 2014, une non-ingérence américaine dans les affaires russes, voire un partenariat pour gérer les conflits au Proche-Orient.
Mais l’indignation et la colère provoquées par le piratage commis contre les démocrates pendant la campagne présidentielle poussent le Congrès vers une attitude de fermeté et non de clémence envers Moscou.
Moscou gagnante
L’analyse que fait la Russie de cette évolution de la situation est sans ambiguïté. « Ces nouvelles accusations de piratage portées contre la Russie coïncident précisément avec la passation de pouvoir aux États-Unis. L’objectif est de pousser Trump à être hostile envers la Russie », affirme Alexeï Pouchkov, membre de la Commission de la Défense et de la Sécurité du Conseil des fédérations.
Pour certains spécialistes des relations américano-russes, cette séquence politique constitue une victoire pour le Kremlin. Donald Trump souhaite des relations plus étroites avec la Russie et il a façonné une administration en fonction de ce paramètre.
De plus, il pourra oeuvrer à ce rapprochement même si certains s’y opposent à Washington. « La Constitution (américaine) donne l’avantage à l’exécutif en matière de guerre et de politique étrangère », rappelle Rhodri Jeffreys-Jones, auteur d’un ouvrage sur la surveillance en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
« Lorsque Trump et Poutine commenceront à s’entendre (s’ils le font) la question du piratage ne sera plus qu’une note de bas de page dans les livres d’histoire », estime-t-il.
Au-delà des strictes relations entre Washington et Moscou, les regards se portent désormais vers les deux prochains scrutins majeurs en Occident: la présidentielle en France et les élections législatives en Allemagne.
La présidence russe souhaite une victoire en mai soit de Marine Le Pen, soit de François Fillon, tous deux connus pour leurs positions russophiles, et un échec d’Angela Merkel qui briguera un quatrième mandat en septembre.
Plusieurs experts du renseignement pensent que les Russes ne résisteront pas à la tentation de rééditer lors de ces scrutins ce qu’ils ont réussi pendant la présidentielle américaine.
« Toute cette publicité fait apparaître la Russie si puissante que c’est presque une provocation pour qu’elle tente de recommencer ailleurs », note Andreï Soldatov, co-auteur d’un ouvrage sur le FSB (le service de renseignement russe) et internet.