L’explosion d’une voiture piégée a fait huit morts et une centaine de blessés vendredi matin à Diyarbakir, la grande ville kurde du sud-est de la Turquie, quelques heures après l’arrestation de douze parlementaires du Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde), dont ses deux co-présidents, Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag.
Le premier ministre turc, Binali Yildirim, a précisé qu’un séparatiste du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) était au nombre des tués.
L’attaque a été imputée au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), classé organisation terroriste par le gouvernement turc mais aussi par les États-Unis et l’Union européenne.
L’explosion s’est produite dans le quartier de Baglar, près d’un commissariat de police où sont gardés à vue plusieurs des élus du HDP arrêtés la veille dans le cadre d’une enquête antiterroriste, a-t-on appris de sources proches de la sécurité.
Au total, douze députés du Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde) ont été arrêtés, suscitant la préoccupation de l’Union européenne déjà inquiète de l’évolution de la société turque depuis le coup d’État manqué du 15 juillet dernier.
Les autorités turques, qui leur reprochent d’avoir refusé de témoigner dans des dossiers liés à « la propagande terroriste », assurent que la loi a été respectée. « Les parlementaires qui ont été arrêtés ont ignoré la loi », a expliqué le ministre de la Justice, Bekir Bozdag, cité par l’agence de presse Anatolie.
« Ils ont reçu une invitation mais ne se sont pas manifestés. Quelle autre solution avions-nous ? Les faire venir de force. » Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, qui co-président le parti, ont été arrêtés à leur domicile, à Diyarbakir, pour le premier et à Ankara pour la seconde.
Lors d’une conférence de presse, le porte-parole du HDP a dénoncé une « opération politique » dont l’objectif, a ajouté Ayhan Bilgen, est de provoquer une « guerre civile » et d’éradiquer un parti qui a réuni plus de cinq millions de voix lors des deux élections législatives de l’année dernière.
Selahattin Demirtas, candidat à l’élection présidentielle remportée en 2014 par Recep Tayyip Erdogan, a déclaré pour sa part qu’il était prêt à répondre de ses actes « devant une justice équitable et impartiale ». « Mais je refuse d’être un acteur d’un théâtre judiciaire juste parce qu’Erdogan, dont le propre passé politique est suspect, l’a ordonné », ajoute-t-il sur Twitter.
« Préoccupation extrême »
Sur le même site de microblogging, Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’UE pour la politique extérieure et de sécurité commune, s’est dite « extrêmement préoccupée par l’arrestation de Demirtas et des autres élus du HDP ». « Nous attendons de la Turquie qu’elle garantisse sa démocratie parlementaire, y compris le respect des droits de l’homme et l’état de droit, et nous transmettons directement ces attentes aux autorités turques », a-t-elle ajouté dans un communiqué signé avec le commissaire européen à l’Élargissement, Johannes Hahn.
« C’est une très mauvaise nouvelle pour la Turquie. Encore une fois », a déploré pour sa part la Néerlandaise Kati Piri, rapporteur du Parlement européen sur la Turquie.
À Berlin, le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Seibert, a réclamé que les députés du HDP aient droit à un « procès équitable ».
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a demandé que le chargé d’affaires turc soit convoqué. « Les arrestations de responsables et d’élus du HDP kurde constituent aux yeux du ministre une nouvelle intensification dramatique de la situation », rapportent ses services dans un communiqué.
En France, le Quai d’Orsay a exprimé sa « vive préoccupation ». « La France et la Turquie sont liées par des valeurs communes qui fondent leurs relations et se traduisent notamment par l’adhésion de nos pays à la convention européenne des droits de l’homme. Aussi, l’arrestation de plusieurs députés du parti HDP soulève une vive préoccupation », a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Romain Nadal.
Selon de nombreux Turcs, l’accès aux réseaux sociaux tels que Twitter, Facebook ou au système de messagerie WhatsApp, a été perturbé à la suite de ces arrestations. L’utilisation est cependant possible en connexion VPN (réseau virtuel privé).
Ankara accuse de longue date les membres du HDP d’être liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ce que réfute la formation d’opposition.
Avec 59 sièges, le HDP est la troisième force politique au Parlement turc. Depuis juin, les députés ne sont plus protégés par l’immunité parlementaire
La Turquie vit sous le régime de l’état d’urgence depuis la tentative de coup d’Etat de l’été dernier. Plus de 110 000 fonctionnaires, policiers, soldats, juges, journalistes et autres ont été arrêtés. Ils sont soupçonnés de liens avec le réseau de Fethullah Gülen, prédicateur exilé aux États-Unis qu’Ankara présente comme l’instigateur du putsch avorté.
Les pouvoirs élargis liés à l’état d’urgence ont également conduit à des arrestations de responsables politiques de l’opposition pro-kurde et à la fermeture de nombreux organes de presses, dont tous les grands médias kurdes.