L’histoire aurait pu n’être qu’un triste fait divers. Elle est en passe de devenir un symbole dans l’éternel débat sur la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, et les recours, juridiques ou symboliques, qui existent face à la haine, la méchanceté et l’horreur en ligne, rapporte Le Monde.
Ramzi Mohammad Kaddouri, 15 ans, habitait à Limburg, en Flandre. Pendant ses vacances au Maroc, cet adolescent, de nationalité belge et d’origine marocaine, a trouvé la mort, le 30 juillet, dans un accident de quad. Le journal Die Morgen a relayé la triste nouvelle, et a constaté la réaction sur les réseaux sociaux : des centaines de commentaires racistes sous l’article, avec la photo du jeune homme décédé, sur Facebook ou Twitter, jusqu’à sa reprise, toujours sur Facebook, par la page d’un groupuscule d’extrême droite flamand (le message a été supprimé depuis).
Dans son édition du 3 août, Die Morgen décide de faire sa une avec ces commentaires écrits sur fond noir, sous le titre: « Racisme éhonté ». Le Courrier international a traduit certains des messages auquels ont eu droit les modérateurs du journal flamand, sans citer les noms de auteurs: « Si ça c’est un Flamand, je suis Saint-Nicolas », « Malheureusement, la plupart des Flamands ressemblent désormais à ça, avec leur face de singe », « Lol, c’était un attentat suicide? »
Tine Peeters, une journaliste de Die Morgen, a écrit une tribune pour dénoncer le comportement de ces lecteurs, ce déferlement de haine décomplexé directement lié aux « attentats, à la crise des réfugiés et à la stagnation économique [qui] attisent visiblement la peur et font disparaître toute honte ». Ce jeune homme, décrit comme « charmant et engagé », est « mort deux fois (…). D’abord , il a eu l’accident sur un quad au Maroc. Il a ensuite été tué sur Facebook etTwitter. »
Plutôt qu’ignorer, effacer ou censurer, la rédaction de Die Morgen a voulu montrer, dénoncer et faire en sorte que tout le monde lise ces mots. Une stratégie qui aura eu le mérite de lancer un débat politique, mais qui n’aboutira pas forcément à ce que les auteurs aient honte de ce qu’ils ont écrit. Comme le dit Tine Peeters, certains auteurs de ce lynchage numérique « n’ont même pas pris la peine de se cacher derrière de faux noms ».
Condamnations un peu trop unanimes
Une fois médiatisés, la classe politique flamande a unanimement condamné ces messages racistes. Le ministre des médias, Sven Gatz (Open-VLD, libéral), condamne le « racisme maladif » de ces internautes et plusieurs membres du parti nationaliste NV-A, le mieux représenté à la Chambre des représentants, ont constaté, à l’instar du ministre-président flamand, Geert Bourgeois, « qu’il y a encore beaucoup de travail pour parvenir à une citoyenneté partagée et à une société inclusive ».
Des réactions rapides et unanimes, qui cachent un problème plus profond dans la classe politique flamande, selon Tine Peeters: « Ils se bousculaient pour condamner les discours de haine, c’en était presque pathétique. S’ils pensent vraiment ce qu’ils disent, voici ce qu’ils doivent faire. Ils doivent faire leur examen de conscience et se demander si les mots qu’ils ont prononcés ces derniers mois n’ont pas repoussé la limite de ce que l’on considère comme autorisé à dire publiquement ».
Le service public de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances (UNIA), qui intente depuis plusieurs mois un procès contre le groupuscule d’extrême droite flamand en question, a annoncé que « l’affaire Ramzi » sera ajoutée au dossier. Selon plusieurs médias, le groupe vient de recevoir une incitation à comparaître du parquet d’Anvers à la suite de la plainte déposée en 2015 par UNIA pour « incitation à la haine, à la violence et à la discrimination ».
Le sujet remet aussi sur la table le rôle de modération que doivent jouer les compagnies américaines comme Facebook, Twitter, YouTube ou Microsoft: des questions primordiales maintenant que chaque citoyen peut être connecté quasiment en permanence.
Le 31 mai, ces entreprises ont signé avec la Commission européenne un « code de conduite » contre la haine en ligne, pas contraignant, dans lequel elles s’engagent à examiner, en moins de 24 heures, « la majorité des signalements valides » rapportés par les internautes et à « supprimer ou rendre inaccessibles », les propos haineux illégaux. Quelques semaines avant, plusieurs ONG françaises, comme SOS-Racisme ou l’Union des étudiants juifs de France, s’étaient plaintes des failles de surveillance des réseaux sociaux devant les contenus haineux.
Au niveau européen, un texte, adopté en novembre 2008, oblige les États à condamner pénalement les auteurs de propos racistes et xénophobes. Internet n’y est pas mentionné une fois.