Les images de la vidéo, filmées à Falcon Heights dans le Minnesota, sont bouleversantes. Les propos de Lavish Reynolds, la femme qui les a publiées en direct sur Facebook Live, encore plus.
Assise dans une voiture, à côté d’un homme noir qui saigne abondamment et qu’elle présente comme son petit ami, elle explique que la police a arrêté son véhicule pour un contrôle de routine. Son compagnon, qui détenait un permis de port d’arme, a alors expliqué au policier qu’il avait une arme sur lui, et demandé s’il pouvait sortir ses papiers d’identité. Le policier a ouvert le feu. « Vous lui avez dit de sortir son portefeuille et vous lui avez tiré quatre balles dans le bras », dit-elle au policier, qui tient toujours son compagnon en joue. « Fuck », crie le policier.
Lavish Reynolds sort alors du véhicule, est menottée par la police, mais reprend ensuite sa diffusion en direct depuis la voiture de police, où elle est assise à côté de sa fille de quatre ans, que l’on entend dire « ça va aller maman, je suis là avec toi ». La victime des tirs est morte, écrit Le Monde.
La vidéo a immédiatement provoqué de vives réactions sur tous les réseaux sociaux – les images diffusées en direct sur Facebook restent accessibles par la suite sous la forme d’une vidéo classique. Les réactions ont été d’autant plus vives qu’il s’agit de la deuxième fois en deux jours qu’un noir américain est tué par la police et que des images liées aux tirs sont diffusées en ligne. Mardi, à Bâton-Rouge (Louisiane), un Afro-américain de 37 ans a été tué par la police. Des images accablantes, filmée au téléphone portable, montrent les policiers ouvrir le feu à cinq reprises sur l’homme alors qu’il est maintenu au sol par des policiers. Diffusées en ligne, elles ont provoqué un scandale national.
Ouverture d’enquêtes
La police de Bâton-Rouge s’est bornée à affirmer que les policiers étaient intervenus après un appel signalant un homme armé qui vendait des CD à la sauvette dans un stationnement. Une enquête a été ouverte et confiée au FBI. Une réponse totalement insuffisante, estiment les organisations de défense des droits civiques et les avocats de la victime, qui ont demandé le licenciement du chef de la police de la ville.
La première vidéo diffusée avait été filmé par le propriétaire de la supérette en face du parking, mais mercredi, des militants d’une association locale appelée « Stop the Killing », ont mis en ligne une deuxième vidéo, encore plus accablante. Un membre de l’association, qui écoutait la radio de la police, s’était rendu sur place très rapidement et avait pu filmer la scène.
L’association avait choisi d’attendre pour diffuser les images, mais les a publiées mercredi matin après avoir entendu que la police refusait de rendre publiques les images enregistrées par les caméras dont étaient équipés certains des policiers présents, et que la police avait saisi les images des caméras de vidéosurveillance du magasin.
Protestation
Les militants des droits civiques et contre les brutalités policières ont de plus en plus recours, aux États-Unis, à des systèmes leur permettant de filmer le plus rapidement possible les images de confrontations entre des citoyens et la police. En l’absence de preuves indiscutables, les policiers suspectés de brutalités sont quasi systématiquement innocentés au tribunal, y compris lorsque de multiples témoignages les accusent. Les vidéos filmées par des témoins ou des caméras de vidéosurveillance sont au cœur de multiples procédures, pour certaines très récentes.
Le 5 juillet, un homme a été abattu à New York par un policier qui n’était pas en service, devant sa femme et leurs deux enfants. Furieux que le policier lui ait fait une queue de poisson en voiture, l’homme l’avait rattrapé et s’était penché par la fenêtre de l’autre véhicule avant d’être immédiatement abattu. La scène avait été filmée par une caméra de vidéosurveillance, mais la police de New York refuse de rendre les images publiques.
Depuis 1992, et les émeutes qui avaient embrasé Los Angeles après l’acquittement de quatre policiers qu’une vidéo amateur montrait brutalisant Rodney King, un jeune noir, à l’issue d’un contrôle, la diffusion et la censure des images de violences policières est un sujet extrêmement sensible aux Etats-Unis. Or, la vidéo filmée par Lavish Reynolds à Falcon Heights a été temporairement inaccessible, juste après avoir été vue un million de fois en une heure, provoquant de nombreuses accusations de censure contre Facebook. Le premier réseau social au monde a évoqué un « problème technique » – la vidéo est à nouveau disponible, précédée d’un écran avertissant que son contenu peut être choquant.
La vidéo est également diffusée sur YouTube, où plusieurs copies ont été publiées rapidement. Certaines d’entre elles sont également précédées d’un avertissement annonçant que les images peuvent être choquantes, et certaines copies des images de Bâton-Rouge ont été supprimées de la plateforme.
Pour les réseaux sociaux, ces vidéos posent un probème particulier : leurs conditions d’utilisation interdisent la publication d’images violentes ou dégradantes, mais lorsque ces images constituent des preuves dans une affaire judiciaire en cours, leur suppression est difficilement envisageable. Dans la plupart des cas, YouTube, Facebook ou Periscope bloquent l’accès aux images mais transmettent une copie de la vidéo aux enquêteurs – une procédure théoriquement utile, mais qui trouve ses limites lorsque c’est justement la police qui est accusée de brutalités. Depuis le 1er janvier, un peu plus de 550 personnes ont été tuées par la police aux Etats-Unis, selon plusieurs décomptes de la presse américaine.