Faudra-t-il bientôt parler de « Call of Thrones » ou de « Game of Duty »? La série Call of Duty vient d’annoncer mardi 28 juin, par la voix de son éditeur Activision, que le troisième contenu supplémentaire téléchargeable pour le jeu de tir militaire Call of Duty : Black Ops 3, sorti à la fin de 2015, mettrait en scène une version uchronique de Stalingrad en 1940… avec des hordes de zombies, des armes futuristes, et des dragons. « Oui, c’est bien vrai. Des dragons », souligne l’entreprise dans son communiqué.
Comme l’écrit le journal Le Monde, le studio chargé de cet épisode, Treyarch, n’en est pas à son coup d’essai. C’est lui qui avait introduit d’inattendus morts-vivants dans un mode de Call of Duty: World at War, en 2008, en dépit du contexte historique réaliste de l’aventure – la bataille du Pacifique durant la seconde guerre mondiale. « Quand on y pense, les zombies de Call of Duty ne devraient pas exister », avait reconnu l’an passé Mark Lamia, le président de Treyarch.
« Certains dans les instances dirigeantes d’Activision y étaient opposés, ils pensaient que ce serait une honte pour la licence. Il y avait la crainte de trop s’écarter d’une série à succès. C’était inconcevable, et peut-on penser, irresponsable. »
L’éditeur s’est montré finalement bien inspiré de le garder : le mode zombie, réservé aux épisodes signés Treyarch (la trilogie Black Ops), est l’un des plus populaires de la série, et Black Ops 2 reste aujourd’hui encore l’un des épisodes les plus vendus de l’histoire de la gamme, à près de 25 millions d’exemplaires. Si bien que huit ans et trois jeux après l’introduction des zombies, le studio américain pousse l’irrévérence un peu plus loin, en empruntant au bestiaire de l’heroic-fantasy ses emblématiques cracheurs de feu.
Monde malléable
Certes, il ne s’agit que d’un contenu optionnel, mais il entérine l’éclatement de la série. Née en 2002 sous forme de jeux d’action historiques inspirés du film Il faut sauver le soldat Ryan, elle s’est reconvertie à partir de 2007 en jeux d’anticipation hantés par la question des nouvelles technologies et du terrorisme international. En 2016, elle s’apprête à franchir un nouveau palier en se déroulant pour la première fois dans l’espace, en l’occurrence le système solaire, loin de tous les référents de la saga.
« Nous cherchons les sensations d’une guerre classique, celle d’être un élément d’une grande force armée avec de nombreux soldats et des vaisseaux dans les airs. Même si nous mettons en scène l’espace, même s’il s’agit d’un contexte futuriste, nous voulons conserver les sensations classiques d’une guerre », assurait récemment au Guardian Jacob Minkoff, directeur du design de la série.
« Activision veut positionner l’univers de Call of Duty comme un monde malléable avec de multiples personnages, histoires et types de jeu qui peuvent coexister simultanément », analysait dès 2010 dans les colonnes du USA Today Scott Steinberg, analyste et auteur du livre Get Rich Playing Games (inédit en français). Chaque épisode prend deux à trois ans pour être développé, et les dernières années ont vu la concrétisation de cette stratégie, à l’image d’Advanced Warfare et de Black Ops 3, sortis en 2014 et 2015, qui se déroulent tous les deux dans un futur proche, mais dans des chronologies différentes.
Feu vert tardif
Pour Sébastien Delahaye, journaliste à Canard PC et auteur de Call of Duty, les coulisses d’une usine à succès : débauchage, espionnage et traîtrise (Presse Non-Stop, 2014), ce revirement stratégique a eu lieu entre 2009 et 2010. Soit juste après une période de crise interne, qui a vu de nombreux développeurs deModern Warfare 1 (2007) et 2 (2009) être limogés ou démissionner de leur studio, Infinity Ward, à cause de divergences artistiques: « Quand Activision a fait le ménage chez Infinity Ward, c’est parce qu’ils ne voulaient pas développer “Modern Warfare 3” : ils voulaient faire la nouvelle série qui leur avait été promise, et leur nouvelle série, c’était… un jeu de science-fiction avec de l’espace. »
Cinq ans plus tard, une partie de l’équipe s’en est allée, mais Infinity Ward a enfin eu le droit de donner naissance à son projet de long terme. Baptisé Infinite Warfare, il porte à quelques lettres près le nom du studio qui a à la fois porté la série Call of Duty et menacé de la quitter.
Cette orientation n’a pas fait que des heureux. Avant même la sortie du jeu à l’automne, des centaines de commentaires se sont plaints sur la page YouTube de la bande-annonce de la disparition de ce qui faisait l’identité de la série. A l’inverse, son concurrent Battlefield 1 a reçu une pluie d’appréciations positives sur la plate-forme vidéo de Google pour son retour non seulement à un cadre historique, mais également à un conflit rarement abordé, celui de 1914-1918.
« La concurrence, c’est quelque chose qu’on prend en compte dès le début. L’un des objectifs de Battlefield 1, c’était de proposer quelque chose que personne n’avait fait avant, qui se distingue immédiatement », souligne Julien Wera, directeur stratégique de la série Battlefield.
Risques
« Mais nous prenons aussi beaucoup de risques, nous faisons les choses différemment », précise Jakob Minkoff au Guardian. « Les missions non linéaires et sans interruption, le fait d’aller dans l’espace, le comportement des ennemis en vol ou en apesanteur – enseigner à nos algorithmes que le haut n’en est plus un est un sacré défi. Nous voulons offrir quelque chose qui ait une saveur différente, tout en gardant l’expérience fondamentale d’un Call of Duty. » Il en portera en tout cas le nom.
Pourtant, il reste une marque de fabrique Call of Duty. Plus encore qu’un certain type d’ennemi ou de scénario, la série se signe véritablement par son style, sa mise en scène et ses sensations. Par son approche hollywoodienne, ses niveaux à la structure dirigiste, ses effets pyrotechniques incessants et sa narration immersive, qui permettent à l’aventure de mimer l’expérience d’un train fantôme lâché dans une attraction foraine au thème militaire.
Inifnite Warfare sera par ailleurs accompagné à son lancement par la réédition de Modern Warfare, l’épisode de 2007 ayant à la fois rompu avec la tradition des batailles historiques et permis à la série d’exploser commercialement. Interrogé par les sites Eurogamer, Vince Zampella, cofondateur d’Infinity Ward, depuis parti fonder un autre studio, a confié s’être entretenu avec ses anciens collaborateurs à propos de cette réédition – l’unique épisode « à l’ancienne » qu’a proposé Activision ces cinq dernières années: « Je leur ai téléphoné et leur ai dit: franchement, ne vous foirez pas. Il occupe une place très importante dans la mémoire des joueurs. »