Fallouja a été ajoutée à la liste des villes irakiennes libérées des mains du groupe armé État islamique. Mais une fois l’effet d’annonce passé, le retour à la stabilité est loin d’être acquis dans ces villes où l’État irakien peine à tenir ses promesses.
La photo est belle, le discours triomphant. « Comme je vous l’avais promis, aujourd’hui ce drapeau flotte haut à Fallouja », s’est félicité le premier ministre irakien Haïdar al-Abadi, dimanche 26 juin, brandissant le drapeau irakien devant l’hôpital central de cette ville haute en symboles.
Après Tikrit (mars 2015), Sinjar (novembre 2015), Ramadi (décembre 2015) ou encore Hit (avril 2016), les forces irakiennes ont repris une nouvelle ville des mains de l’organisation de l’État islamique. Et alors que quelques heures plus tôt, les combats faisaient encore rage dans Falloujah, Haïdar al-Abadi n’a pas hésité à appeler « les Irakiens où qu’ils soient à sortir et célébrer » cette reconquête. « Nous hisserons bientôt le drapeau irakien à Mossoul », a-t-il même lancé dans un élan d’optimisme.
Sur le terrain, le tableau est toutefois beaucoup moins flatteur. Comme à Ramadi, de nombreux bâtiments de Falloujah ont été détruits par des mois d’occupation de l’EI, puis par de longues semaines de siège. Plus de 250 000 habitants ont quitté la ville en deux ans et demi. Et les combattants de l’EI ont pris soin de miner la ville, empêchant le retour immédiat des habitants. La reconstruction prendra du temps.
« Abadi est très contesté depuis plusieurs mois et se sent donc obligé de se présenter comme un grand conquérant et comme le sauveur de l’Irak », explique à France 24 Myriam Benraad, chercheuse à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Irenam) et auteure de « Irak, la revanche de l’histoire » (Éditions Vendémiaire). « Il fait donc de la communication politique mais celle-ci ne correspond pas à la réalité. »
Et pour cause : dans la plupart des villes libérées, les habitants ne peuvent revenir faute d’y trouver les conditions nécessaires à leur subsistance. À Ramadi et Hit, notamment, l’eau potable et l’électricité n’ont toujours pas été rétablies et la reconstruction n’a pas commencé. Un rapport des Nations unies publié en février a ainsi établi que près de 5700 immeubles ont été partiellement détruits à Ramadi et que près de 2000 l’ont été entièrement. « Le niveau de destruction constaté à Ramadi est pire que partout ailleurs en Irak. C’est sidérant », notait Lise Grande, la coordinatrice humanitaire de l’ONU, dans ce rapport.
Les milices chiites mises en cause pour leurs exactions
« Le gouvernement de Bagdad fait des promesses qu’il ne tient pas, poursuit Myriam Benraad. Le paysage de l’après-EI dans ces villes est un paysage extrêmement fragile et fragmenté, sans gouvernance claire et légitime aux yeux de la population présente qui reste suspicieuse. Et puis ce qui empêche l’amélioration sur le terrain, ce sont aussi les exactions commises par les milices chiites. »
Ces milices combattent officiellement sous l’appellation des Unités paramilitaires du Hached al-Chaabi (Mobilisation populaire) et le commandement du premier ministre. Elles constituent l’une des forces militaires les plus à même de faire face à l’EI. Mais comme l’ont noté des rapports de Human Rights Watch et Amnesty International publiés ces derniers mois, ces milices chiites se sont rendues coupables de pillages, de viols, de destructions, d’incendies, d’exécutions extrajudiciaires et d’enlèvements sur les populations sunnites des villes libérées.
« On reste dans une logique de guerre confessionnelle et de représailles intercommunautaires, souligne la spécialiste de l’Irak. Le climat n’est pas propice à l’apaisement. Même à Falloujah, alors qu’elles étaient censées rester à distance des populations, les milices ont commis des exactions. »
Pire, la libération totale de ces villes n’est pas acquise. Certaines poches de Fallouja sont ainsi toujours occupées par l’EI. Et à l’exception de Tikrit et Sinjar, les autres villes n’ont pas été totalement libérées, comme en attestent les frappes aériennes quotidiennes menées par la coalition internationale.
« L’EI a relancé une offensive à Ramadi et à Hit, avec certaines positions reprises, affirme Myriam Benraad. Donc on voit qu’ils sont capables d’être mobiles sur le terrain, de répondre aux défaites en lançant d’autres offensives ailleurs, notamment parce que les forces irakiennes n’ont pas assez d’hommes pour tenir toutes les villes libérées. »
L’Irak semble donc en proie à un scénario de guerre sans fin. Même si l’EI perd petit à petit du terrain, les conditions de son existence n’ont pas disparu, en particulier l’absence de l’État irakien. « Or ce qui a fait naître l’EI et ce qui lui a permis de prospérer, c’est le vide, rappelle Myriam Benraad. Et ce qu’on trouve dans ces villes supposées libérées, c’est le vide. Ce sont des territoires sans État. »