« Mourir pour être encor plus proche de la terre », écrivait il y a plus d’un siècle Anna de Noailles, dans son poème La Mort Fervente. Les Suédois, eux, ne sont pas si pressés, qui mettent leurs défunts en pension avant de leur offrir le repos éternel.
« On ne laisse pas un poulet dans le frigo pendant plusieurs semaines, pourtant c’est ce qu’on fait avec nos morts, c’est terrible! », s’indigne de cette curieuse habitude l’essayiste Lotte Möller, auteure d’un brulot sur le sujet.
Son âme rendue, le mort suédois est en effet abandonné à la morgue jusqu’à la cérémonie des funérailles, soit en moyenne pendant plus de vingt jours, selon des statistiques publiées par l’Association suédoise des pompes funèbres. Les croque-morts assurent tenir là un record mondial.
« Le corps est pris en charge, le mort n’est plus le problème de sa famille. Il ne compte plus », analyse Mme Möller.
Agnes Hansson, une étudiante de 21 ans, a perdu son père Åke, décédé brutalement le 8 février chez lui à Härnösand, une ville côtière située à 400 km au nord de Stockholm, la capiale suédoise où elle étudie. Les funérailles ont eu lieu le 4 mars, 24 jours plus tard. Un délai qui peut paraître long et pourtant, aux yeux de l’étudiante, « c’était trop court ».
« J’avais un tas de choses à faire et je n’ai pas pu participer aux préparatifs. D’autres n’ont pas eu le temps de prendre un congé ou de faire garder leurs enfants », explique-t-elle à l’AFP. « Pensez au temps qui s’écoule pour un baptême ou un mariage entre l’envoi des cartons d’invitation et les cérémonies elles-mêmes », fait-elle remarquer.
Les considérations d’ordre religieux viennent loin derrière. La Suède figure d’ailleurs parmi les pays les plus sécularisés du monde, avec seulement 8% de pratiquants déclarés. Elle répond depuis la Réforme à la doctrine de Luther et la liturgie protestante professe rigueur et dépouillement – par contraste avec celle, bien plus fastueuse, de l’Église catholique romaine.
Mort à assembler
Pourquoi tant attendre pour enterrer ses morts? Les explications sont plurielles.
Il ne s’agit pas, à en croire les spécialistes interrogés par l’AFP, de conjurer la disparition de l’être en prolongeant le séjour de l’enveloppe charnelle parmi les vivants.
Ici, on entend seulement faire simple, efficace. La mort pensée comme un meuble en kit… Les Suédois sont « peu versés dans le sentimentalisme, sans fantaisie et très pragmatiques », ironise Lotte Möller.
Pour Åke Daun, professeur émérite d’ethnologie à l’Université de Stockholm, cet accommodement avec la mort doit de fait être perçu « comme l’expression du tempérament pratique des Suédois ». « En général, la mort intervient à un moment qui n’est pas prévisible. On estime en Suède qu’il faut reculer la cérémonie d’enterrement le plus possible pour que la famille, les amis y assistent ».
Le délai ne semble pas choquer grand monde. « C’est tout à fait normal. C’est comme ça que ça se passe, c’est tout », constate Sara Andersson, Stockholmoise de 28 ans. « Ca peut paraitre un peu long quand on y réfléchit, surtout que le corps reste à la morgue tout seul, mais dans le processus de deuil, aller plus vite serait trop rapide », défend Julia Hederius, 34 ans.
La tradition suédoise d’attendre un long moment avant d’enterrer ses morts remonte aux années 1970, lorsque la Suède s’ouvrait au monde. Le délai était alors de deux mois. « Il fallait donner du temps aux nouveaux expatriés et aux pionniers du tourisme de masse à l’étranger de revenir au pays » en cas de décès d’un proche, explique Anders Jarlet, historien de l’Église suédoise.