Le journaliste d’opposition turc Can Dündar, bête noire du président Recep Tayyip Erdogan, a échappé vendredi à une attaque armée devant le palais de justice d’Istanbul où il est jugé pour « divulgation de secrets d’État » et son assaillant a été arrêté.
Un homme a tiré plusieurs coups de feu avec un pistolet, blessant légèrement un journaliste de la chaine d’information NTV au mollet, avant de déposer son arme devant les caméras et de se rendre tranquillement aux nombreux policiers déployés sur les lieux, a constaté une journaliste de l’AFP sur place.
« Je suis indemne, je ne connais pas cette personne mais je connais très bien ceux qui nous prennent pour cible », a déclaré à la presse M. Dundar, rédacteur en chef du quotidien Cumhuriyet, après cette attaque, aux côtés de son épouse qui a tenu l’agresseur par le col après les faits.
Le journaliste faisait visiblement allusion à la politique répressive de M. Erdogan à l’égard de la presse d’opposition en Turquie.
L’homme dont l’identité serait Murat Sahin, âgé de 40 ans et connu de la police selon les télévisions, a immédiatement été menotté et conduit à un commissariat. Il aurait crié « tu es un traître et tu vas en payer le prix! » avant de tirer plusieurs coups de feu vers les jambes de M. Dündar, dans une volonté de le blesser et non de l’assassiner, selon la chaîne CNN-Türk.
Murat Sahin, longtemps au chômage avant de travailler comme ouvrier, a affirmé à la police vouloir donner « une leçon » à M. Dündar et avoir agi seul.
« Je n’ai pa voulu le tuer, j’aurais pu le faire », aurait-il dit, selon CNN-Türk.
Cette agression intervient alors que M. Dündar et son chef de bureau à Ankara, Erdem Gül, sont dans l’attente d’un verdict du tribunal pénal qui les juge pour avoir révélé que le régime islamo-conservateur du président Erdogan livrait des armes aux groupes jihadistes en Syrie voisine.
L’attaque a été dénoncée par l’ensemble de la classe politique. « Ceux qui visent les journalistes qui font leur métier avec des discours de haine sont responsables de l’attaque contre Can Dündar », a tweeté le chef de l’opposition laïque, Kemal Kiliçdaroglu.
Les deux journalistes risquent la prison à vie dans ce procès controversé et emblématique pour la liberté de la presse en Turquie. Ils sont accusés d’espionnage, de divulgation de secrets d’État et de tentative de coup d’État pour avoir diffusé en 2014 un article et une vidéo faisant état de livraisons d’armes par les services secrets turcs à des rebelles islamistes en Syrie.
Erdogan menace
« Ils le payeront cher », avait alors menacé, furieux, le chef d’État turc à la télévision, lançant personnellement des poursuites contre les deux hommes.
Les deux journalistes ont passé déjà trois mois dans les cellules de la prison de Silivri, dans la banlieue d’Istanbul, par lesquelles sont passés beaucoup de journalistes de l’opposition.
Ils ont retrouvé la liberté le 26 février grâce à une décision de la Cour constitutionnelle, l’une des dernières institutions échappant au contrôle de M. Erdogan, qui a rejeté publiquement cette décision.
La bataille juridique a donc repris en avril.
Les deux journalistes sont aussi soupçonnés par le pouvoir d’avoir été manipulés par l’imam Fethullah Gülen, ex-allié de M. Erdogan devenu son ennemi numéro un. Depuis décembre 2013 et les révélations, par des proches de Fethullah Gülen, d’affaires de corruption au plus haut sommet de l’État, l’homme fort de Turquie qualifie chaque critique de tentative de coup contre son pouvoir. Les journalistes sont menacés de poursuite pour « insulte » à sa personne tout comme de simples citoyens.
Cumhuriyet est un quotidien farouchement laïc et hostile au régime de M. Erdogan, accusé de dérive autoritaire et de museler la presse indépendante.
La Turquie est à la 149è place sur 180 dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse établi par l’organisation Reporters sans frontières (RSF).
Le 4 mars, le gouvernement a placé sous tutelle judiciaire le groupe de presse Zaman, considéré comme proche de la confrérie que dirige M. Gülen depuis les États-Unis. La direction du journal a été licenciée et remplacée par des administrateurs nommés par le pouvoir.