Apple a réclamé lundi avec insistance la création d’une commission gouvernementale américaine sur le cryptage pour aider à résoudre l’impasse entre la sécurité nationale et la protection de la vie privée, un dossier qui a très fortement gagné en importance la semaine dernière après que l’entreprise eut refusé une demande de Washington pour déverrouiller un iPhone lié à l’un des tireurs de la fusillade de San Bernardino, en Californie.
Comme l’écrit Reuters, il s’agit du plus récent développement d’un affrontement particulièrement public et symbolique entre le gouvernement américain et les compagnies technologiques, l’affaire pouvant établir un précédent quant à la marge de manoeuvre des autorités américaines en lien avec l’imposition d’ordres à ces compagnies en ce qui concerne la gestion des données de leurs clients.
Le président d’Apple, Tim Cook, a aussi envoyé lundi une lettre à ses employés, où il indique que la position de la compagnie concerne des questions plus vastes, et non pas seulement l’unique téléphone auquel veut accéder le FBI.
« Cette affaire concerne bien plus qu’un simple téléphone ou une simple enquête », a dit M. Cook dans un courriel adressé aux employés, et que Reuters a pu consulter. « Ce qui est en jeu, c’est la sécurité des données de centaines de millions de personnes qui respectent la loi, et l’établissement d’un précédent dangereux qui menace les libertés civiles de tous. »
Le FBI cherche à obtenir l’accès au téléphone de Syed Rizwan en désactivant certaines barrières de protection du mot de passe, des barrières qui, aux yeux du gouvernement, sont des « barrières non-cryptées ».
La plus récente réplique d’Apple fait suivre à une conférence téléphonique surprenante effectuée vendredi par Apple en compagnie de journalistes pour réagir à la motion du département américain de la Justice pour qu’Apple respecte à un ordre d’un juge afin de déverrouiller le téléphone de travail de Farook.
Mais des procureurs ont reconnu que leur demande, également déposée vendredi n’était « pas nécessaire sur le plan légal », puisque qu’Apple n’a pas encore répondu à la première demande des tribunaux, publiée la semaine dernière. La motion visait plutôt la lettre ouverte de M. Cook adressé aux consommateurs, la semaine, et critique la position de la compagnie comme « une stratégie de marketing ».
Les manoeuvres du département de la Justice de la dernière semaine, y compris le fait de divulguer sur la place publique ce qui serait normalement tenu derrière des portes closes, et d’approcher les victimes pour qu’elles déposent elles-mêmes des documents judiciaires, ont poussé certains partisans d’Apple à laisser entendre que l’affaire tenait plutôt de l’esbroufe teintée de campagne de relations publiques, tout en notant que le téléphone de Farook contenait sûrement des informations sans grand intérêt pour les enquêteurs.
Farook et son épouse, Tashfeen Malik, ont détruit leurs téléphones personnels avant de déclencher la fusillade du 2 décembre à San Bernardino, qui a fait 14 morts et 22 blessés. Les autorités croient que le couple a été inspiré par le groupe armé État islamique. Le téléphone autour duquel tourne cette affaire est un iPhone 5C fourni par le comté de San Bernardino, Farook ayant occupé un poste d’inspecteur de la santé publique.
Les défenseurs de la vie privée et les individus pro-technologie ont accusé la poursuite de chorégraphier la controverse pour atteindre un but plus vaste, soit obtenir un appui suffisant en faveur d’une loi ou d’un précédent judiciaire qui forcerait les entreprises à casser leur cryptage pour les enquêteurs.
Commission sur la sécurité numérique
Le dossier a ravivé l’intérêt, au Congrès américain, sur la façon de gérer, sur le plan législatif, le fait de « prendre le maquis technologique », soit lorsque des mesures de sécurité empêchent d’accéder aux données de suspects d’actes criminels. L’idée de mettre sur pied une commission – qui pourrait être le prélude à une solution législative plus vaste – n’est pas une idée nouvelle, bien qu’une solution légale au débat sur la vie privée et le cryptage échappe toujours à la classe politique.
Une telle commission regroupant des experts des domaines technologique, commercial et juridique a été proposée par le sénateur démocrate Mark Warner et le représentant républicain Michael McGaul, qui préside le comité sur la sécurité nationale, et ce afin de mettre fin à l’impasse.
Les deux hommes devraient donner plus de détails mercredi dans la capitale fédérale américaine. De son côté, Apple a confirmé qu’elle collaborerait avec une commission ou un groupe d’experts pour discuter davantage de ce sujet. Impossible, toutefois, d’obtenir des commentaires à cet effet.
La compagnie à la pomme a aussi souligné que s’il est techniquement possible de passer outre les barrières de sécurité de l’iPhone en codant un nouveau système d’exploitation, un tel geste établirait un dangereux précédent.
Le directeur du FBI James Comey a publié tard dimanche un article sur le blogue Lawfare où il argue que cette affaire n’est pas une question de précédent judiciaire, mais concerne plutôt « les victimes et la justice ». « Quatorze personnes ont été massacrées et plusieurs autres ont vu leur vie ou leur corps ruiné, écrit-il. Nous leur devons une enquête complète et professionnelle en vertu de la loi. Voilà ce que c’est. »
Les sénateurs Richard Burr et Dianne Feinstein, respectivement le plus important républicain et la plus importante démocrate du comité sénatorial sur le renseignement, affirment depuis longtemps vouloir présenter un projet de loi forçant une compagnie à offrir un accès aux données d’un suspect, bien que cette idée ne se soit pas traduit en démarches véritables.