Une personne peut-elle, à elle seule, incarner New York, voire les États-Unis dans leur ensemble? Véritable monstre sacré de la littérature, Paul Auster possède ce rare don de s’inspirer d’événements en apparence banals, y compris sa propre existence, pour en tirer des fresques symbolisant l’histoire imprécise, parfois violente, mais toujours fascinante, du peuple américain. Le voilà dans What if, superbe documentaire de Sabine Lidl présenté dans le cadre du Festival international du film sur l’art (FIFA).
Auster, donc, c’est bien sûr l’auteur de la Trilogie new-yorkaise, ce tryptique qui a fait sa réputation comme écrivain à succès, mais aussi un personnage en soi. Il faut le voir, à 71 ans, au moment où le film a été tourné – 73 ans, aujourd’hui –, avec son front dégarni, ses cheveux gris qui ont viré au blanc, mais toujours ce regard profond, ces yeux perçants, capable, on pourrait croire, de disséquer la minutie du quotidien pour en tirer quelque chose de structuré, de puissant, et peut-être même de grandiose.
Oui, on peut souligner le côté parfois suranné de l’oeuvre d’Auster: après tout, comme le mentionne un ami de longue date de l’écrivain, l’Amérique de la Trilogie a disparu depuis belle lurette. Même le personnage principal du plus récent roman de l’auteur, 4321, paru en 2017, vit une bonne partie des événements marquants de son existence durant les années 1960, période de grande tension chez nos voisins du Sud, avec non seulement la Guerre du Vietnam, mais aussi l’assassinat de Martin Luther King, par exemple, ainsi que le mouvement pour les droits civiques et les grandes tensions raciales. Tout cela a défini l’Amérique, oui, et les conséquences de ces événements marquent encore la société de nos voisins du Sud, mais cette époque est malgré tout en partie révolue.
Et bien entendu, le fait d’apprendre que Paul Auster rédige encore ses livres en les tapant à la machine à écrire fait sourire. La chose est tellement… naturelle? Évidente? Comme si la légende Auster avait besoin d’être renforcée, solidifiée avec cette anecdote qui colle tout à fait au personnage.
Pourtant, en écoutant What if, ce film qui tient davantage de la rencontre, de l’échange, que du documentaire, on vient confirmer cette certitude: Paul Auster, en quelque sorte, est l’Amérique. Une Amérique plurielle, ouverte d’esprit, pleine de contradictions, incertaine, faillible, mais une Amérique capable de s’exprimer, de se définir et redéfinir sans cesse.
Devant l’incertitude qui caractérise notre époque, pendant que la société américaine (et le monde entier) se débat contre la maladie et les contradictions, Paul Auster, à qui l’on souhaite de passer la quarantaine en sécurité, avec sa machine à écrire, donne ainsi de quoi réfléchir. À quoi bon vouloir survivre, en effet, si les arts disparaissent, et ses artisans avec eux?