Geoffrey Gaquère est un homme en colère. Le directeur artistique du théâtre Espace Libre a pourtant toutes les raisons de se réjouir. Après tout, l’homme participait lundi au lancement de la prochaine saison de son lieu de création et d’expression artistique, et dévoilait une programmation diverse tournant autour du thème de l’inclusion. Mais ce moment était aussi l’occasion d’établir les faits: les fonds manquent pour accomplir la « mission » réclamée par l’État.
« C’est plus que de la frustration; c’est de la colère », martèle M. Gaquère au bout du fil. Car il faut savoir que le Conseil des arts et des lettres (CALQ), qui fournit une enveloppe budgétaire au théâtre pour promouvoir l’implication citoyenne des gens du quartier Centre-Sud, mais aussi pour favoriser la diffusion culturelle dans son ensemble, n’augmente pas avec les ans, ce qui se traduit par une diminution constante, en raison de l’augmentation du coût de la vie.
M. Gaquère parle ainsi « d’une incohérence… qui ressemble, pour moi, à une forme d’hypocrisie, entre les normes d’attribution des subventions auxquelles nous devons répondre – et auxquelles nous répondons – en ce qui concerne les politiques de démocratisation de la culture, d’ouverture à la diversité culturelle, d’aller à la rencontre de nouveaux publics ».
« On nous demande de faire cette job de démocratisation de la culture dans notre théâtre, dans nos lieux. Chose que je n’ai aucun problème à faire, parce que c’est nécessaire de le faire. Par contre, les budgets du CALQ n’augmentent pas. Mais nous, aller à la rencontre de ces publics-là, ça nous demande du personnel, ça nous demande des moyens financiers pour annoncer nos spectacles, ça nous demande de la formation, aussi, pour aller à la rencontre de ces gens-là, peut-être des gens qui seraient éloignés de la culture pour une raison ou une autre, économique ou sociale… Et là où je suis personnellement en colère, et où j’ai l’impression qu’on fait la job des politiques, c’est qu’on ne nous donne pas d’argent supplémentaire pour le faire, alors que l’on fonctionne approximativement avec le même argent qu’il y a 15 ans, à peu près. »
« Et donc, ajoute-t-il, si on fonctionne à peu près avec le même argent qu’il y a 15 ans, on en a encore moins maintenant, à cause de l’augmentation du coût de la vie. Alors ça pour moi, à un moment donné, il faut que les gens le sachent, que lorsque nos gouvernements, nos politiques vantent la culture québécoise, la vitalité artistique… On parle de Montréal métropole culturelle, pour moi, tout cela – et je le dis de l’intérieur, de façon très intime -, c’est une façade… on sert de vitrine pour nos politiques. Alors que ce qui se crée dans les théâtres se crée dans une précarité. »
« Et en plus, en nous demandant d’oeuvrer à la démocratisation de la culture, mais sans nous donner les moyens financiers pour faire ce travail, parce que tout cela s’ajoute à notre travail habituel, alors là, il y a une incohérence, une hypocrisie. Et je questionne réellement le bien-fondé et la sincérité de notre gouvernement lorsqu’il parle de démocratisation de la culture », lâche le directeur artistique du théâtre.
Problèmes financiers mis à part, Espace Libre continue de foncer et d’oser, paradoxalement, la diversité pour favoriser l’inclusion. Outre un grand spectacle sur Camilien Houde auquel les citoyens sont conviés, et plus particulièrement ceux de Centre-Sud, qui auront entre autres droit à un rabais, le théâtre s’aventure dans le domaine du transhumanisme, à l’ère des médias sociaux et des existences toujours plus portées sur le numérique.
Post Humains, où l’on pourra voir Cadie Desbiens, Dominique Leclerc et Didier Lucien, se penchera ainsi sur cette volonté de forcer l’évolution humaine à l’aide de moyens technologiques. Le résultat, un mélange de théâtre documentaire, d’autofiction et de performance, s’invite dans le mouvement cyborg pour mesurer les limites de notre humanité en pleine transformation.
À voir, tout comme les 11 autres pièces de cette programmation 2017-2018 d’Espace Libre.