La Chapelle Scènes Contemporaines se démarque très certainement par sa programmation audacieuse et expérimentale. Même dans le genre, le théâtre propose généralement des pièces qui viennent choquer (positivement ou négativement) le spectateur, avec son consentement et son approbation enthousiastes.
Si cela fait en sorte que tout ce qui est joué sur les planches de La Chapelle varie en termes de qualité, c’est loin d’être le cas de son plus récent spectacle, J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened. Sans être trop drastiquement cathartique, le spectacle propose néanmoins une réflexion tant ludique que caustique sur la place de l’homme contemporain dans une société où la masculinité, dans toute sa beauté, ses failles, ses contradictions et sa toxicité, est glorifiée.
C’est donc la notion du genre et la déconstruction de ses caractéristiques sociales et comportementales que Philippe Dandonneau aborde dans l’œuvre, qui flirte entre le théâtre, la danse et la performance. Il est souvent question, dans les théories féministes, de déconstruction des genres, en tant qu’archétypes sociaux acquis. C’est ce que fait Dandonneau, en mettant en scène trois artistes qui s’échangent comportements, vêtements et mouvements, dans une danse bien rodée de séduction assumée, mais paradoxalement floue.
Le mouvement « lumbersexuel » est au cœur du discours proposé dans la pièce, qui va jusqu’à mettre en scène un tableau de coupe de bois à la hache, pendant laquelle s’immiscent toutefois des temps d’arrêt non sans rappeler les poses affectées d’un top model. On retourne sur lui-même, comme un gant trop usé, le concept d’homme au summum de sa virilité, qui a pourtant connu un regain de popularité au cours des dernières années. Dans cette œuvre assez inhabituelle, l’homme, le vrai, ne semble plus qu’être une image factice, de domination artificielle, de dominance de l’image sur la réalité, que n’importe qui, peu importe son identité de genre, est en mesure de s’approprier.
Il y a des moments remarquables dans ce spectacle peu conventionnel : que ce soit lors d’une chorégraphie sur la chanson (bien à-propos) Pretty Hurts de Beyoncé, pendant laquelle les danseurs se mettent à nu tant littéralement que métaphoriquement, ou encore durant cette scène où arrosoir et urinoir se fondent et confondent pour ne plus faire qu’un. L’alternance des rôles très genrés, que s’échangent les artistes avec autant d’aisance que leurs chemises, vient flouer notre conception traditionnelle des corps et de la manière dont ils sont interprétés.
Le commentaire de Dandonneau et des artistes sur scène dépasse la simple critique de l’homme, de l’homme alpha par excellence, et des questions de genre; J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened est une critique des médias, de l’image déformée qu’ils nous renvoient, de cette perfection, cette maladie qui afflige toute une nation, de ce poison insidieux qu’est la masculinité toxique au sein de nos vies.
Du rire au malaise, Dandonneau propose ici une œuvre matraque; ses coups violents et empreints d’une ironie humoristique et noire n’ont pour cible ni plus ni moins que le patriarcat, dans toute sa putride splendeur – pour lequel, d’ailleurs, ni les artistes, ni Dandonneau, ni les spectateurs et spectatrices ne versent une larme. Avec raison.
J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened sera présenté à La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 25 novembre inclusivement.