Quand on entre dans la salle du Théâtre de Quat’Sous, pour assister à la représentation de la pièce d’Anne-Marie Olivier, on ne s’attend pas à rigoler. Le décor est plutôt lugubre, avec son mur entier couvert de portes de cuisinières vieilles et parfois sales. Les comédiens déjà sur scène n’ont pas non plus l’air d’avoir l’esprit à la fête. On s’attend plutôt à ce que les couteaux volent bas.
Tout, ou presque, dans Mon corps deviendra froid, cette histoire de famille, est d’une immense tristesse, d’une douleur infinie. Et c’est peut-être pour nous aider à nous rendre jusqu’au bout de la pièce sans sombrer avec les personnages, que l’auteur a choisi de l’émailler d’une certaine dose d’humour qui est la bienvenue.
Suzanne Champagne, dans un rôle qui lui va comme un gant, campe une mère de famille qui organise une petite réunion de famille pour «fêter» le 10e anniversaire de la mort de son mari. Elle feint de croire que son mari est mort dans un accident et tente de sauver la face de son défunt, vis-à-vis de ses enfants. Mais plus le souper avance, souvenirs aidant, il ne reste plus qui que ce soit qui soit dupe de la belle histoire que la mère voudrait bien que les enfants retiennent de leur enfance avec leur père.
Puisqu’il s’agit d’une rencontre d’anniversaire, d’un retour dans le passé, on n’est pas surpris de l’usage des flashbacks. Mais cet usage est parfaitement maîtrisé et le passage continuel du passé au présent est soutenu par une mise en scène habile et des comédiens qui rajeunissent et vieillissent instantanément, avec une véracité assez convaincante.
Tout aussi convaincante est l’interprétation de Roger La Rue en jeune homme charmant et charmeur tout d’abord, puis en homme brisé par les horreurs de la guerre et emporté peu à peu par une maladie de l’âme.
Toute la pièce est soutenue et cimentée par la narration poétique et extrêmement lucide de la belle-sœur «handicapée sociale» et souffre-douleur du fils de la famille. Avec ces monologues émaillés de jeux de mots rappelant ceux du défunt Sol, on est emmené encore plus loin, quoique sur une voie parallèle, dans le mal de vivre.
À la fin, on peut tout de même croire que la poésie et l’humour l’emportent sur la tragédie, que l’espoir l’emporte sur les ténèbres, alors que la vie trouve toujours son chemin. Bref, l’œuvre d’Anne-Marie Olivier n’est surtout pas légère ou superficielle et le spectateur sensible repartira ému, peut-être troublé et sans doute comblé.
Mon corps deviendra froid, à l’affiche jusqu’au 27 février